Nathalie Saint-Pierre: l'entrevue cinéphile

6 avril 2024
entrevue

Onze ans après Catimini, Nathalie Saint-Pierre nous revient avec son troisième long métrage Sur la terre comme au ciel, dans les salles du Québec à compter du 12 avril.

Quel film vous a donné envie de faire du cinéma ?

C’est venu avec Mauvais sang de Leos Carax. C’est la première fois que j’ai été sensible au langage cinématographique et que j’en ai eu conscience. Pour moi, être cinéaste était un rêve très théorique et quand j’ai vu Un zoo la nuit, j’ai été chavirée pour une multitude de raisons : mon père venait de mourir, je viens de l’Est de la ville et j’ai lu dans le journal que Jean-Claude Lauzon avait appris à faire du cinéma à l’UQAM. Tout à coup, le rêve devenait possible.

Vous produisez également vos films. Y a-t-il un ou une cinéaste dont vous admirez la démarche ?

Aux États-Unis, John Cassavetes m’a beaucoup marquée. Mais dans mon cas, ce qui a été déterminant, c’est mon arrivée en 1993 aux Films de l’Autre, un collectif de réalisateurs et réalisatrices qui produisent leurs œuvres. À ce moment-là aux Films de l’Autre, il y avait Jeanne Crépeau, Céline Baril, Jeannine Gagné et Catherine Martin, toutes des personnes qui m’ont fait réaliser qu’il y a mille et une façons de concevoir un film. C’est aussi là que j’ai compris l’importance du contrôle financier et éditorial total.

Puisque vous accordez une grande place à la direction d’acteurs, quel film vous rend admirative du jeu des comédiens ?

Évidemment, ce serait A Woman Under the Influence avec Gena Rowlands. Ce film [signé John Cassavetes] a été déterminant dans le parcours de nombreuses générations d’acteurs et de réalisateurs. Au Québec, j’ai toujours été fascinée par Les Ordres et le processus de distanciation que Michel Brault a employé avec ses comédiens.

Quel film mettant en scène Montréal vous a marquée ou inspirée ?

Visuellement, on se souvient tous d’Eldorado. Charles Binamé a tourné en 35mm aux côtés de Pierre Gill, son directeur photo, avec deux caméras sur des patins à roues alignées. Ça donnait toute une énergie alors qu’on voyait les comédiens parmi la foule.

Dans Sur la terre comme au ciel, on voit Clara se faire suggérer ses premières lectures lorsqu’elle se rend dans une librairie. Quel serait le premier film que vous lui recommanderiez ?

Tous nos classiques : Les ordres, À tout prendre, L’eau chaude, l’eau frette, Les bons débarras, etc.

Quel serait le film préféré de Louise, la tante alcoolique qui accueille Clara chez elle ?

On ne la voit jamais devant un écran. Je pense qu’elle crashe un peu trop vite dans sa soirée. Je dirais peut-être Anatomie d’une chute.

Votre long métrage parle du doute. Quel film vous réconcilie avec votre envie de faire votre métier ?

Je ne doute jamais du pouvoir du cinéma. Après, le doute est quelque chose que je trouve sain. C’est pourquoi je dirais Orlando de Sally Potter. À la fin, le personnage est chez son futur éditeur et celui-ci constate que ça lui a pris du temps pour écrire son manuscrit. Orlando échange alors un regard avec la caméra et le spectateur : ça lui a pris 700 ans, toute une vie.

Quels films évoquant le rapport à la religion vous semblent encore pertinents aujourd’hui ?

La dernière tentation du Christ et Jésus de Montréal. Ce sont des films où le personnage historique nous est présenté avec ses travers et ses failles. Tout à coup, on le rend plus semblable à nous.

Quel est votre récit initiatique (coming of age) fétiche ?

À nos amours de Maurice Pialat, d’abord pour Sandrine Bonnaire, mais ensuite parce qu’il y a des séquences qui montrent avec une rare justesse la réalité adolescente et l’insouciance de nos sensations avant le rappel à l’ordre. Et je reviens aux Bons débarras. Ce n’est peut-être pas une bonne réponse, car Manon, interprétée par Charlotte Laurier, est encore une enfant et est complètement en amour avec sa mère. Elle possède la rébellion de l’adolescence, mais elle est toujours habitée par une poésie enfantine.

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