En salle à partir du 23 février, Lucy Grizzli Sophie sera d’abord présenté en ouverture de la 42e édition des Rendez-Vous Québec Cinéma (RVQC). Mediafilm a rencontré la réalisatrice Anne Émond pour l’occasion.
Lucy Grizzli Sophie représente pour vous plusieurs premières fois : un premier thriller, une première adaptation d’une pièce de théâtre, une première réalisation à partir d’un scénario écrit par une autre personne que vous…
Effectivement, c’est tout ça! C’est mon 5e film et c’était une expérience complètement nouvelle. Tous mes autres films, je les ai écrits, réalisés; j’ai choisi mes acteurs… Là, c’était complètement autre chose. Je trouvais que ça pouvait être un beau film pour moi avec un sujet important, tout en pouvant faire du cinéma populaire en même temps.
Aviez-vous vu la pièce avant d’être approchée pour le projet?
Non, parce qu’au moment où la pièce buzzait à Montréal, j’étais à Paris pour le travail. Ce projet m’est parvenu sous forme de scénario. J’ai d’abord été approchée comme lectrice-conseillère; donc je l’ai lu sans savoir que j’allais le réaliser. À sa lecture, j’ai été absorbée et complètement prise au jeu.
De quelle manière avez-vous abordé sa transposition à l’écran. Est-ce que Catherine-Anne Toupin vous a laissé carte blanche?
Je ne connaissais pas du tout Catherine-Anne. J’étais passionnée par le projet et très tôt, lors de notre première rencontre, elle m’a dit : « T’as tout compris. Veux-tu réaliser le film? ». Sur le coup, je ne savais pas trop… puis en y réfléchissant, j’ai dit oui. J’avais envie de plonger dans cet univers rentre-dedans, incisif et loin de mon écriture.
J’avais donc carte blanche pour la réalisation, mais en même temps, j’arrivais là très humblement; tout le travail d’adaptation pour le cinéma était fait. Comme je n'avais pas vu la pièce, on se demandait [avec le directeur photo et le directeur artistique] : « Mais comment ça a pu être une pièce de théâtre? ». C'est-à-dire qu’on ne le sentait pas. On était tellement dans les codes du film de genre, dans l’univers d’un thriller psychologique.
Était-ce un enjeu d'avoir à diriger les trois acteurs principaux de la pièce?
Pour moi, c’était clair qu’il ne fallait pas jouer comme sur les planches d’un théâtre. Tout au long du tournage, j’y ai pensé. C’est intimiste, c’est un huis-clos, ça se déroule souvent au milieu de la nuit, c’est tendu… Il fallait que ce soit joué pour le cinéma. Parfois, durant les prises, je fermais les yeux en me demandant si j'étais au théâtre ou dans un film. En même temps, ce sont trois acteurs qui ont fait beaucoup de télé et de films, donc ça allait tout seul.
C’était un avantage de travailler avec ces acteurs-là, qui possèdent une telle connaissance de leurs personnages. S’il n’y avait pas eu tout ce background, ça nous aurait pris des semaines de répétitions, et c’est un luxe qu’on n’a pas en cinéma.
Catherine-Anne Toupin dans Lucy Grizzli Sophie Photo : Sphere Films
À partir de ce constat, aviez-vous le sentiment qu’il fallait le point de vue d’une femme pour porter ce récit à l’écran?
Je ne pense pas. Je crois que n’importe quel.le cinéaste aurait pu faire un excellent travail. Je sais que plusieurs réalisateur.trice.s ont été rencontré.e.s. Mais Catherine-Anne Toupin recherchait surtout un match d’idées…
Je ne sais pas si c’était important que ce soit une femme, mais je sais que ça rendait mon travail légitime, dans la mesure où lorsqu’on me disait « c'est trop violent » ou « ce n’est pas réaliste », il y avait une partie de moi, comme femme, qui disait : « Si tu savais… ».
À travers toute la tension de Lucy Grizzli Sophie, il y a ce décor rural enchanteur et cette grande maison qui semble si paisible. Est-ce que ce contraste était volontaire?
Oui, complètement! Il y a quelque chose au niveau formel qui évoque le cinéma des années 40 et 50, même 80 et 90. Il y a cette belle maison, la forêt, mais il y a quelque chose qui gronde. Le soir, cette maison devient plus inquiétante…
Le film possède certains aspects en commun avec Martha Marcy May Marlene. Est-ce que ce film vous a influencée? Quelles ont été vos sources d’inspiration?
Je suis contente que tu nommes ce film-là. Je n’en ai pas vraiment parlé, parce qu’il est moins connu, mais c’est une de mes inspirations. Pour la musique, entre autres. Le climat, le soleil… et ce personnage féminin en choc post-traumatique. D’ailleurs, le titre Lucy Grizzli Sophie est une espèce de clin d’oeil.
Sinon, pour le rythme, je dois citer Gone Girl de David Fincher. C’est un film que j’aime beaucoup et qui me fascine. Parmi les autres références, je dirais les films glauques et tordus des années 80 et 90 comme Fatal Attraction et Basic Instinct. Hitchcock, pour Psycho et Vertigo, sur le thème de la double identité. Il y a également You Were Never Really Here et We Need To Talk About Kevin de Lynne Ramsay.
Une scène en particulier, empreinte d’un certain onirisme, fait déjà jaser...
Oui, c’est qu’on reçoit. Dans mes films, il y a de la nudité. Il y en eu dans Nuit #1 et dans Nelly. Il y en a dans celui-là. C’est assez frontal quand même. Cette scène existait dans la pièce, mais c’était très différent. On y a beaucoup réfléchi… Dans ce cas-ci, les images restent imprimées, mais ça prend tout son sens. Ces personnages aux couches multiples, qui se retrouvent en pleine forêt, complètement mis à nus… c’est un moment très important et charnière pour la suite des événements.
Photo : Lou Scamble