Voici un comédien, qui, avec quatre de ses films à Cinémania (Chien blanc d’Anaïs Barbeau-Lavalette, Peter von Kant de François Ozon, As Bestas de Rodrigo Sorogoyen et Les survivants de Guillaume Renusson), prouve qu’il est un des acteurs les plus en vue du cinéma français.
Dans 3 des 4 films que vous accompagnez à Cinémania, vous parlez une langue étrangère. Êtes-vous devenu le plus international des acteurs français?
(Rires) Je ne sais pas. Peut-être un peu européen... Mais, vous savez, le temps que le scénario arrive, que je rencontre le ou la cinéaste, qu’un projet de film se concrétise et qu’il sorte sur les écrans, c’est de la chance pure ces sorties simultanées.
Il n’y a pas une part de stratégie pour sortir de la France?
Je suis d’abord et avant tout un artisan au service d’une histoire; donc, quand elle me touche vraiment, je fais tout pour la servir. Il n’y a pas de calcul, de plan de carrière, et encore moins d’argent, parce que je ne fais pas de films avec beaucoup de budget.
Surtout au Québec…
Bizarrement, c’est avec Chien blanc que j’ai gagné le plus de sous! (Grand éclat de rire) Ceci dit, grâce à Rodrigo Sorogoyen [réalisateur d’As Bestas] et à la façon dont on a abordé le film, le travail sur la langue était sans répit. J’adorerais, maintenant, tenir des rôles dans d’autres langues. Avec Marina Foïs [sa partenaire dans As Bestas], on s’est fait la réflexion que c’est souvent parce qu’on n’ose pas. Mais là, il fallait oser et on a travaillé d’arrache-pied. Je me rends compte, maintenant, que travailler dans une autre langue, c’est possible.
Dans Les survivants vous jouez un personnage en reconstruction suite à la mort de sa femme dans un accident dont il est responsable. Quels souvenirs gardez-vous du rôle et du tournage?
Ça a été très éprouvant, tourné en plein hiver, puis arrêté par la pandémie. On a attendu 11 mois avant de reprendre. La fragilité du personnage vient de sa culpabilité. Il se sent si coupable qu’il veut mourir, disparaitre, et sa rencontre avec la jeune réfugiée afghane l’empêche de se suicider. Pour un premier long-métrage, c’est vraiment un film « couillu », sur un sujet important [l’immigration] dont il faut parler, mais Guillaume a réussi à faire un film de genre assez remarquable.
Dans Chien blanc, vous incarnez Romain Gary. Comment avez-vous approché ce rôle?
J’ai longtemps essayé, non pas de l’imiter, mais d’adopter un certain phrasé, un certain débit de voix, mais ça sonnait faux. Je me suis aussi rendu compte qu’en fait, Gary jouait une multitude de personnages dans la vie et médiatiquement : le dandy, l’écrivain, le consul… J’aurais aimé pouvoir le faire, mais j’en étais incapable. Et puis, quand on voit ce que Philip Seymour Hoffman a fait avec Truman Capote, la barre est haute!
Le rôle de Peter von Kant est fortement inspiré de Fassbinder lui-même. L’univers de ce cinéaste vous était-il familier?
Un peu, mais pas assez. Plus jeune, j’ai vu quelques films de Fassbinder, que j’avais trouvés un peu âpres, un peu durs. Mais c’est ça qui fait que mon métier est génial : j’ai dû me documenter et apprendre, pour entrer dans son univers.
Après Dans la maison et Grâce à Dieu, vous avez tourné avec François Ozon pour la troisième fois. Comment était-ce?
C’était très différent des deux premières fois. Peter, c’est une partition géniale pour un acteur; il y a presque toutes les notes à jouer dans cette adaptation, mais il fallait aller à fond dans le personnage. Ozon et Fassbinder, ce sont deux montagnes. Je me suis donc basé sur le texte et lâché à 100% en essayant de retrouver dans certaines scènes des choses que je connaissais. Quand Peter casse tout chez lui, c’est Richard III de Shakespeare; tout son rapport avec Karl [son majordome], c’est Frankenstein Junior; les scènes avec Isabelle [Adjani], c’est La chatte sur un toit brûlant!
Je me suis raccroché à ça, car imiter Fassbinder, je ne sais pas faire. Mon Fassbinder est plus une évocation qu’une incarnation. C’est lui qui est venu à moi, mais je ne suis pas sûr qu’il aurait aimé le film ou le fait que ce soit moi qui l’interprète. Comme Romain Gary, il avait un ego énorme, démesuré. Il m’aurait peut-être reproché de ne pas être à sa hauteur. D’ailleurs, lors de l’avant-première à Berlin, le film s’est arrêté au bout d’une demi-heure. Une coupure technique ou peut-être le fantôme de Fassbinder qui a dit: « Non, vous ne m’aurez pas! »
Pour terminer, parlez-nous de votre rencontre avec Isabelle Adjani et Hanna Schygulla sur Peter von Kant.
Tout le monde me parlait d’Adjani! Moi, j’ai rencontré quelqu’un de drôle, d’enthousiaste. Au début, c’est impressionnant parce que c’est un mythe, mais au bout de deux heures, on riait ensemble. Quant à Hanna Schygulla, je ne l’ai jamais vu comme l’égérie de Fassbinder. Pour moi, c’était Mutti [« maman », en allemand, son rôle dans le film]. En fait, on a eu la pudeur de ne pas lui parler de tout ça. On voulait qu’elle passe un bon moment. Mais, dans la scène de l’anniversaire, quand elle m’a vu arriver vêtu du costume blanc que Fassbinder portait dans un de ses films, elle est allée s’asseoir à l’écart. Ce n’est pas le fantôme de Rainer qu’elle a vu, mais elle est revenue à cette époque, il y a 40, 50 ans, et ça l’a bouleversée.