
Le train clôt cette fin de semaine la 54e édition du Festival du nouveau cinéma, avant de prendre l’affiche le 24 octobre. Marie Brassard nous convie dans l’univers intime et mystérieux d’une adolescente astmathique vivant seule avec sa mère dans le Québec des années 1970.
On vous connaît comme actrice (Vic+Flo ont vu un ours, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant) et metteure en scène. De quelle manière la réalisation de films [celui-ci est son premier] s’inscrit dans votre démarche ?
Je suis cinéphile depuis longtemps. Quand j’étais adolescente à Trois-Rivières, il y avait un ciné-club au Séminaire Saint-Joseph, ouvert par l’abbé Léo Cloutier, un grand érudit de cinéma. Il proposait deux à trois films par semaine. J’y allais à chaque fois. [...] Puis, la vie m’a amenée au théâtre. Par la suite, j’ai joué dans beaucoup de films. C’est là que j’ai mieux connu ce médium, de l’autre côté de la caméra. La productrice [Catherine Chagnon] m’a proposé d’écrire et de réaliser un film. Je suis une personne chanceuse, à l’écoute de ce que la vie m’apporte. Ce n’était pas nécessairement un rêve précis, mais quand l’occasion s’est présentée, je l’ai saisie.
Le train évoque le voyage et le pouvoir de l’imagination. Comment ces thèmes résonnent-ils pour vous ?
J’ai grandi dans la banlieue de Trois-Rivières Ouest. Au bout du champ, près de chez nous, il y avait une voie ferrée. Le train passait là et ma mère nous interdisait d’aller y jouer. Comme c’était interdit, j’avais envie d’y aller. Le soir, lorsque j’entendais la sirène du train, je m’imaginais un bûcheron gardien de cette frontière entre notre monde et un autre qu’on ne connaissait pas. Je rêvais aussi de voyager, de prendre le train. Il y a une certaine mythologie qui s’est installée dans mon esprit.
L’idée d’univers parallèles s’incarne également à travers le monde de Maurice, le couturier français qui accueille Thérèse et sa fille Agathe dans sa vie.
Dans le film, je voulais dépeindre une société québécoise qu’on ne voit pas nécessairement : des univers, dans les années 60 et 70, où il y avait des penseurs, des écrivains, une ouverture d’esprit. C’est l’époque de l’Expo 67 et on sentait l’idée d’une nouvelle société, d’un nouveau monde avec le féminisme, la culture queer - qu’on n’appelait pas encore de cette manière -, l’underground, etc. C’est faux de penser qu’on vient juste de la noirceur. Il y a une époque où la voix des politiciens et des historiens était respectée. À la télévision, on parlait de tout : musique, histoire, art, géographie. Cette culture et ce savoir étaient transmis.
Le rapport mère-fille entre Thérèse et Agathe est assez harmonieux. Le seul danger semble être l’asthme d’Agathe. Et la principale douleur de Thérèse, l’absence de son conjoint.
J’aimais l’idée de passation. Ma mère est morte quand j’avais 15 ans. Elle m’a transmis son savoir et son désir de connaître et de créer. Dans le film, je fais référence à cette transmission entre une mère et son enfant. Je pense que ça existait dans des sociétés assez libérales, où le fossé des générations n’était pas aussi grand qu’avant les années 60. Il y a un amour qui lie cette enfant à sa mère, comme si elles étaient complices dans la réalisation qu’elles sont peut-être un petit peu en marge et qu’elles souhaitent le vivre dans une certaine harmonie.
En tant que comédienne, comment travaillez-vous la direction d’acteurs ?
J’ai la chance de posséder un studio où je peux travailler. [...] C’est important pour moi de discuter avec les acteurs pour qu’ils soient au fait de tout l’univers que je veux dépeindre. Je sais que même si ce n’est pas directement lié au travail d’interprétation, ça contribue à les nourrir d’une façon ou d’une autre.
Vous avez développé un environnement visuel enveloppant, aux ambiances feutrées. Était-ce une façon pour vous d’inviter le spectateur dans votre film ?
Je voulais que le film soit contemplatif. Je souhaitais qu’on ait le temps de voir ce que j’avais envie de mettre en scène. C’est assez riche, il y a beaucoup d’art dans le film. La beauté et le savoir de la matière et des objets sont très présents. C’est la même chose pour la musique et les ambiances sonores. Je désirais également qu’il y ait des moments où on ne fait que regarder ou écouter. Je trouve ça important en tant qu’artiste de faire des propositions qui ne sont pas toujours “right to the point”. Il y a un système qui nous pousse à aller directement là vers ce qu'on veut dire. Je suis contre ça. Je trouve ça inintéressant. Je voulais que le film soit à l’image de la vie, qui est inexplicable.
Quelles ont été vos principales influences visuelles ?
Kwaidan de Masaki Kobayashi. Je voulais que les scènes oniriques et les scènes de la forêt affichent une facture très particulière. La caméra ne bouge pas beaucoup et les décors naturels donnent l’impression d’être en studio. Aussi, j’aime beaucoup la lumière et les couleurs dans les films de Wong Kar-Wai. J’ajouterais L’élément du crime, le premier film de Lars von Trier. C’est un film qui a beaucoup d’onirisme et qui m’a beaucoup influencée. Je pourrais aussi nommer L’état des choses de Wim Wenders, qui m’a beaucoup marquée.