
Sous la direction de Guillaume Nicloux (L’enlèvement de Michel Houellebecq, Une affaire privée), Sandrine Kiberlain endosse les costumes de Sarah Berhnardt, la divine, à l’affiche le 25 avril.
Étiez-vous familière avec Sarah Bernhardt avant de vous plonger dans ce rôle ?
Non. Je la pensais uniquement concentrée sur le théâtre. Je n’imaginais pas l’ampleur de sa présence, de son exubérance, de sa façon de vivre, de sa manière d’aimer, de s’engager et d’oser sur des choses qu’elle jugeait injustes. C’est une femme qui a changé beaucoup de choses. Elle est une des premières à avoir parlé des femmes et de leurs conditions. C’est aussi la première qui, sans les réseaux sociaux et les médias, est devenue la plus grande star mondiale. Elle n’essayait jamais de plaire. Elle était drôle, intelligente, très pertinente, et le seul moment où elle devenait fragile était quand on l’abandonnait.
On vous connaît pour vos performances plus mesurées. Ici, vous avez «lâchez les chevaux». De quelle manière avez-vous exploré la nature de votre métier d’actrice à travers ce rôle ?
Je suis fascinée par les actrices. Je n’ai jamais compris comment ça se passe. Surtout là. Il n’y a pas une façon d’être Sarah Bernhardt. C’est une interprétation, la mienne et celle de Guillaume Nicloux. C’est un travail d’imagination, d’incarnation, de lâcher prise. Dans le passé, j’ai plutôt exploré le comique et le burlesque, toujours en jouant des femmes dignes, réservées, avec une pudeur. Là, c’est comme s’il y avait quinze rôles en un. Elle passe par tous les états. Elle n’est pas la même quand elle est seule et quand elle est exposée, où elle joue en permanence.
Vous n’avez donc pas chercher à embrasser une forme de mimétisme, comme c’est souvent le cas lorsque des personnages connus sont incarnés au cinéma.
On n’est pas avec une personne célèbre qu’on connaît. Aznavour, par exemple, est très proche de nous. On reconnaît son physique, sa voix, sa façon de bouger, etc. J’ai vu plein de photos de Sarah Bernhardt et ce n’est jamais la même. Parfois, on se dit qu’elle est toute petite, d’autres fois elle est élancée. Elle est brune, elle est rousse. J’ai vu tout ça. Mais avec Guillaume, on voulait créer notre Sarah Bernhardt.
Comment l’avez-vous abordée ?
On a fait le film très, très rapidement, dans un rythme où je ne me suis jamais assise. Je pense que Sarah, elle non plus, ne s'asseyait pas. Tout ça allait avec son autorité. Elle était quelqu’un de passionné, qui ne supportait pas la demi-mesure. Elle était exigeante avec l’art, les gens et sa passion. On ne peut pas aborder Sarah Bernhardt sur la pointe des pieds. [...] Il fallait oublier tout ça et l’aborder comme on traite n’importe quel personnage, c’est-à-dire dans l’instant, en étant sincère.
Le fait que le film se déroule sur deux époques, plutôt que sur toute une vie, comme c’est souvent le cas avec le biopic, vous permettait sans doute d’être davantage dans l’instant.
Je crois que c’est une femme de l’instant, même sur scène. Le public avait l’impression d’assister à un concert. On est passé par plusieurs versions du scénario qui se sont épurées. Guillaume a décidé de se concentrer sur elle, sur son intimité, son histoire d’amour, sa vie secrète. Ça m’a vachement plu. Je pouvais me concentrer sur qui elle était.
Vous avez réalisé votre premier long métrage Une jeune fille qui va bien en 2021. Est-ce que ce nouveau chapeau vous a appris de nouvelles choses sur votre métier d’actrice ?
Ce sont deux choses dont j’ai besoin. Être actrice, c’est ma vie. J’ai de la chance, je joue beaucoup. Je n’ai pas réalisé un film parce que je n’ai pas assez de travail comme actrice. Ce n’était pas un besoin, mais une nécessité. Celle de m’exprimer. L’idée m’est venue et c’est devenue vital de la raconter. Je me suis lancé. J’ai adoré. Et maintenant, c’est un moyen d’expression dont j’ai besoin.
Vous êtes également au générique du film Les Barbares de Julie Delpy (qui prend l’affiche le 20 juin au Québec). Croyez-vous que le rapport au monde est différent lorsqu’une femme est derrière la caméra ?
Un homme n’a pas la même façon de poser un regard sur une femme qu’une réalisatrice. Et un homme n’a pas la même façon de poser un regard sur un homme qu’une femme. Je pense qu’à chaque fois ce n’est qu’une histoire de désir. Pour une femme, c’est un désir d’identification. Julie et moi, on se ressemble. On a le même humour. Quand Emmanuel Mouret choisit Vincent Macaigne, il y a quelque chose de l’ordre de l’alter égo. Quand Jeanne Herry me choisit, il y a une sensibilité, on se reconnaît. Alors que lorsqu’elle choisit Gilles Lelouche, il y a quelque chose qui lui plait. Quand l’homme choisit une actrice, même s’il n’est pas hétérosexuel, il y a un désir amoureux. En tant que metteurs en scène, on choisit des gens qu’on aime filmer. Ce n’est pas rien. Par contre, pour moi il n’y a pas de film de femmes ou de film d’hommes. Sinon, on remet la différence sur la table et ça c’est très énervant. Il y a des films, voilà.