Marie-Line et son juge: 7 questions à Jean-Pierre Améris

26 juin 2024
entrevue

Marie-Line et son juge, en salle vendredi, réunit à l’écran la chanteuse Louane et le rarissime Michel Blanc, dans un irrésistible duo dépareillé. Rencontre avec l’heureux entremetteur de cette rencontre au Havre: le cinéaste Jean-Pierre Améris.

Votre film, qui réunit une jeune serveuse de café mise à l’amende et le vieux juge qui a prononcé sa sentence, parle-t-il d’abord d’un fossé générationnel, ou d’un fossé des classes?

D’un fossé des classes. C'est ce qui m'a vraiment le plus touché dans le roman de Murielle Magellan, dont le film est tiré. Adolescent, me prenant de passion pour le cinéma, j'ai dit à mes parents que plus tard, je voulais faire des films. Mon père, un peu comme le père de Marie-Line dans le film, était désespéré. Parce qu’on vient d’un milieu très modeste. Il avait cette expression: “c'est pas pour nous”. Je trouve cette expression terrible, comme un rideau de fer qui se referme. Heureusement, la passion, la nécessité du cinéma ont été plus fortes que ce désespoir social. J’ai retrouvé dans ce roman cette même opposition, et cette même possibilité, par la rencontre, elle avec un juge, moi avec un enseignant.

Le duo en voiture, c’est presque un sous-genre en soi.

Absolument! Je pense à Miss Daisy et son chauffeur, ou encore Green Book, que j'adore. C'est toujours la rencontre improbable entre deux personnes que tout sépare. Et la voiture, c’est séduisant, cinématographiquement.

Pourtant, c’est à Educating Rita, que votre film m’a fait penser en premier lieu.

C'était aussi un des films référence. J'adore ce film. Mais comme j’en parlais tout le temps, la romancière m’a mis en garde: attention, le juge n'est pas un pygmalion. En tout cas, ce n'est pas un vieux monsieur qui va apprendre des choses à une fille sans culture. Le rapport, dans Marie-Line et son juge, est un peu plus égalitaire.

Pourquoi avoir choisi Le Havre comme théâtre de votre film?

C’était déjà celui du roman. J’aurais pu transposer l’action ailleurs, mais Le Havre colle bien à cette histoire d’un petit duo physiquement dissemblable, qui traverse une ville pas trop grande, aux quartiers socialement très marqués, à bord d’une petite Twingo. On a acheté la voiture à une dame âgée qui l'avait soignée. On l’a un peu cabossée parce que pour moi, la voiture devait être, comme les personnages dans mes films, cabossée, blessée, mais vaillante. C'est mon thème. C'est aussi un mot de François Truffaut qui disait toujours à la fin des lettres: “Vaillance”.

À quel moment de l’écriture avez-vous pensé à Louane pour interpréter le rôle de Marie-Line?

On en était à la deuxième ou 3e version du scénario lorsque j'ai pensé à La famille Bélier [film qui l’a révélée], à Louane, mais surtout, à ce qu’elle raconte de sa vie, à savoir une enfance rendue difficile par l’hyperactivité et le deuil de ses parents. Elle a reçu beaucoup de coups sur la tête. Elle est issue d’un milieu prolétaire. En même temps, elle possède cette énorme pulsion de vie. C’est comme ça que je voyais le personnage.

Comment avez-vous envisagé ce duo qu’elle forme avec Michel Blanc?

Lui ne la connaissait pas. Je ne sais pas s'il avait vu La famille Bélier_, mais il ne la connaissait pas comme chanteuse. Dès leur première rencontre, j'ai vu que ça prenait. Elle a su le prendre, elle a su le dérider. Il est quand même fort angoissé, cet homme. Comme le sont souvent les comiques._

Quelle part de votre travail avec les acteurs est-elle laissée à l’observation?

Dans mon travail, j'essaie surtout de filmer la personne. Bien sûr, Michel Blanc, est un grand acteur, mais je voulais faire un portrait de lui, à ma façon. J’ai aussi fait ça avec Benoît Poelvoorde, avec Isabelle Carré: filmer l'être humain que j'ai en face de moi, au plus près de ce que je crois être sa vérité. Puis, dans ce cadre, qui est quand même très précis, laisser la vie arriver. Ici, c’était facile car Louane, c'est la vie même.

Photo : Jean-Pierre Améris et Michel Blanc Crédit photo : Caroline Bottaro

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