Après Quand l’amour se creuse un trou, Ara Ball nous entraîne dans le Montréal des années 1990 avec L’Ouragan F.Y.T., et pose un regard en noir et blanc sur une communauté de marginaux.
Que souhaitiez-vous explorer plus en profondeur avec le long métrage ?
Quand j'ai écrit le court métrage, je n’avais aucune intention d'en faire un long. Mais au fil des Q&A en festivals, j’ai pu faire une analyse de mon film. Je me suis rendu compte que j’avais envie de déconstruire le personnage du jeune garçon, de vraiment le comprendre. Je voulais également me poser la question : est-ce possible de sauver un jeune comme lui ?
Est-ce que la structure du récit initiatique (coming of age) s’est rapidement imposée ?
Je pense que le film porte surtout sur un enfant enragé. Mais oui, le personnage est aussi en transition, il se transforme. Les films de rue avec des enfants m’interpellent beaucoup. On n’en avait pas vraiment fait au Québec. D’autant plus qu’on avait une culture de rue qui était très présente dans les années 90. J’avais envie d’offrir un film inspiré d'œuvres comme The Kid,Les 400 coups, Capharnaüm et City of God.
De quelle manière désirez-vous que L’Ouragan F.Y.T. s’inscrive par rapport à tous ces films ?
Au-delà de présenter un enfant dans une situation de pauvreté, je voulais m’amuser avec le langage cinématographique. À mes yeux, ces films sont très expressifs. Avec le directeur photo Ian Lagarde, on a fait en sorte que la caméra bouge beaucoup, tout le temps. Ça a permis de créer un film fun et dynamique. Puis, quand on pénètre dans l’univers d’un enfant, il y a quelque chose de ludique et le film se dévoile comme le fantasme d’un garçon de 11 ans qui veut devenir un adulte.
Le film commence en couleur puis, lorsque Delphis décide de devenir l’Ouragan, vous faites le choix du noir et blanc, comme dans le court métrage.
J'avais l'idée que le court métrage était une vieille VHS que quelqu'un trouvait dans une poubelle. Le noir et blanc me rappelle les vieux documentaires de l’ONF et beaucoup de souvenirs que j'ai où ma mère m'amène au cinéma. Avec le long métrage, je voulais pousser ce concept encore plus loin. Je cherchais à identifier l'univers de l'Ouragan en noir et blanc. Il me faisait aussi penser aux vieilles photos punk qu’on retrouvait en Californie et à New York.
L’Ouragan adresse directement ses pensées au spectateur, un peu comme s’il voulait faire de celui-ci un complice de sa quête.
Un enfant n’a pas le privilège de pouvoir expliquer ce qui se passe en-dedans de lui. On devient alors son journal intime et les seules personnes à pouvoir l’écouter. Beaucoup d’enfants de la rue n’ont jamais eu l’espace pour prendre la parole et on les a perdus, dans le système, la rue ou la drogue. Puis, je vois le cinéma comme quelque chose d’artificiel, même si on essaie constamment de recréer le réel et l’authenticité. Et le fait de briser le quatrième mur nous le rappelle.
Dans une scène, les personnages de La Grotte assistent à un concert punk. Le mouvement s’incarne également à travers la musique dans votre film.
Je pense que le punk, pour le public, représente quelque chose d’hyper agressif. Pour moi, ça fait partie d’une énergie. Et la musique accompagne les jeunes de manière positive. C’était important pour moi de mettre en valeur les bands de la scène punk. Même si on dépeint une réalité qui peut être sombre, la musique nous aide à sourire et nous guide à travers les moments plus difficiles.
Le personnage de Ben se définit contre le système, mais on le sent quand même ambivalent face à l’Ouragan.
Je me reconnais beaucoup dans ce personnage, car je constate que rien ne peut être parfait. Même si Ben essaie de créer une commune hyper positive avec La Grotte, il est conscient que ça vient avec des risques. Qu’est-ce que l’on fait avec un enfant comme l’Ouragan ? Dans le système, on lui dirait non tout le temps et ça ne ferait qu’attiser sa colère. Ben lui offre une place où il est respecté et capable de se reconnaître en tant qu’humain.
Comment avez-vous trouvé Justin Labelle qui interprète Delphis/L’Ouragan ? Il s’agit de son premier rôle au grand écran.
On a tout de suite remarqué son humanité et son naturel en audition. On en a fait quatre avec lui en un an. Sa mère est professeure, il vient d’une grande famille et d’un background humble. Il dégageait quelque chose de sweet, mais aussi de dangereux et vulnérable. Il était le kid parfait pour ce rôle. Il a manifesté une très grande intelligence émotionnelle. Il a été très bien entouré avec un coach de jeu et sa mère qui l’accompagnait sur le plateau.
Le film fait une grande place à l’humour.
Le quotidien de ces individus n'est pas juste sombre. Parfois, quand on réalise ce genre de film, on peut être méprisant ou percevoir les choses de façon misérabiliste. Ça ne veut pas dire non plus que l’existence de ces gens est amusante, mais ceux-ci font preuve de sarcasme et d’ironie. C’est important de le montrer. Comme l’amour et la tendresse. La vie quoi !
Photo : Ara Ball Crédit : Don Robitaille