Trente ans après L’odeur de la papaye verte, le réalisateur Tran Anh Hung nous invite à passer à nouveau à table avec La passion de Dodin Bouffant, en salle le 10 novembre.
En quelles circonstances avez-vous découvert le roman de Marcel Rouff, “La vie et la passion de Dodin-Bouffant, gourmet”? Il ne s’agit pas d’un livre très connu.
J'étais à la recherche d’un sujet sur la nourriture. Au fil de mes lectures, je suis tombé par hasard sur le livre de Marcel Rouff, et contrairement à d’autres projets, celui-là a été accepté par un producteur. C’est un roman un peu démodé, l’histoire n’est pas très intéressante; j’ai donc gardé les pages magnifiques sur la description de la nourriture, et surtout comment les personnages en parlent. En fait, j’ai raconté l’histoire qui précède le roman, qui débute avec la mort d’Eugénie, la fidèle cuisinière de Dodin. Ce qui m’a permis d’explorer la relation amoureuse entre deux personnes qui ont longtemps vécu ensemble, qui partageaient une même passion. Ce qui m’intéressait également en tant que réalisateur, c’était de tourner un film sur un art, et j’ai choisi l’art culinaire, qui sollicite des sens peu habituels, le goût, l’odorat, la vue, le toucher.
La première partie de votre film déploie un plan séquence très élaboré, véritable chorégraphie culinaire décrivant la préparation d’un repas de plusieurs services. Un exploit technique et artistique qui fait beaucoup penser au célèbre Rope, d’Alfred Hitchcock. Contrairement à ce dernier, avez-vous pensé à tourner un “making of” de votre film?
Non, ça n’a pas été fait. Il y avait en effet plusieurs prouesses compliquées à exécuter hors champ, dans la continuité de l’action. Par exemple, les fours des deux cuisinières ne marchaient pas. On voit pourtant des plats fumants en sortir. Il fallait donc recourir à un four portatif, qui chauffait les plats, juste au moment où le personnage passait pour le prendre. Mais vous avez raison, c’est dommage qu’il n’y ait pas de “making of”, tout ça c’est quand même assez fascinant.
C’était votre idée de réunir à l’écran Juliette Binoche et Benoît Magimel, qui ont jadis été un couple dans la vie?
Oui, dès le départ. C’est ce que je voulais.
Pour que l’on sente une complicité, un sentiment d’intimité entre eux?
Non, ça j’ai voulu l’éviter, j’avais peur de ça. Ça ne m’intéresse pas de fouiller dans la réalité des acteurs. Je suis plutôt un cinéaste qui cherche l’expressivité, que l’émotion et le réalisme proviennent du jeu des acteurs. La dernière fois que Benoît et Juliette ont tourné ensemble, c’est il y a 20 ans, et depuis, ils ne se parlaient plus. Par exemple, quand je disais “coupez”, après une scène très intime, chacun repartait de son côté. C’est grâce à leur grand talent que l’on croit à leur intimité et leur amour. Cela dit, ils ont pris plaisir à tourner ensemble. Juliette m’a remercié d’avoir mis des mots d’amour si beaux dans sa bouche et celle de Benoît, qui leur permettent de continuer à exister, à un certain niveau. Elle est contente que le film existe. Et à la fin, Benoît m’a dit: “Je me trouve beau, je te remercie, ça faisait longtemps”. (rires)
La passion de Dodin Bouffant représente la France dans la course à l’Oscar du meilleur film international. Compte tenu du grand intérêt de la critique anglo-saxonne pour les sujets de votre film, la gastronomie française et le sentiment amoureux, croyez-vous en vos chances de remporter la convoitée statuette?
Oui, absolument, je veux faire campagne, consacrer toute mon énergie, pour que le film aille le plus loin possible. Je suis très honoré de représenter la France aux Oscars. Mais je ne crois pas que la gastronomie française ait besoin d’une carte de visite. D’ailleurs, je ne voulais pas à tout prix qu’il soit question de cuisine française, c’est plus par hasard que c’est arrivé, je m’intéressais au départ à l’art gastronomique dans tous les pays.
Entrevue réalisée dans le cadre du Festival du nouveau cinéma, en octobre 2023.