
À 68 ans, Zacharias Kunuk n’a pas dit son dernier mot. Le réalisateur d’Atanarjuat, Caméra d’or à Cannes en 2001, nous revient cette semaine avec Le mauvais mari, inspiré d’une légende qui a bercé son enfance. Entretien.
D’où vous est venue cette histoire?
Je connais depuis l’enfance cette histoire d’homme qui était marié à une femme promise à un autre. Ils ont vécu heureux, ont eu deux enfants, jusqu’à ce que l’aspirant revienne. Ils se sont battus, il a perdu. Ça s’est passé il n’y a pas si longtemps, dans les années 1920. Cette histoire servait à nous rappeler de ne pas nous aventurer trop loin, par crainte que le troll nous attrape.
À quelle époque l’histoire du Mauvais mari se passe-t-elle?
Je n’ai pas daté l’action. Pendant un millier d'années, les vêtements de ma nation sont restés les mêmes, les peaux de phoques étaient pareilles. Alors, c’est dur à dire. Mon assistant, lorsqu’il rameutait l’équipe, criait: “On retourne à l’an mille”.
Auriez-vous fait Atanarjuat de la même manière, si vous aviez eu les mêmes moyens techniques que ceux dont vous disposez aujourd’hui?
Sûrement pas. Dans mes films précédents, j’ai voulu faire apparaître un esprit, mais je devais me contenter de leur donner une forme humaine. Comme dans Le Journal de Knud Rasmussen, lorsque le chaman chasse l’esprit. Mais cette fois, grâce aux effets spéciaux, j’ai pu leur donner une forme différente.
Vos contes précédents se déroulent en hiver. Celui-ci est en quelque sorte un conte d’été.
Oui, au départ j’avais cette idée de neige, de tempêtes, puis l’idée du brouillard m’est venue.
Je suis intrigué par votre manière de filmer et la précision des proportions entre le ciel et la terre. Est-ce que cela vous vient d’instinct, ou êtes-vous très attentif à cela?
Là d’où je viens, il y a des plaines. Rien que des plaines, à perte de vue. C’est magnifique. On regarde les nuages, on prédit la météo, on regarde les glaciers flotter à l’horizon. [Pour ce qui est des proportions,] c’est mon directeur photo qui choisit. Moi je me concentre sur l’histoire à raconter.
Vos histoires sont très localisées, mais leur portée semble universelle.
Le Grand Nord est vaste, avec des dialectes très différents, de l’Alaska au Groenland. Mais on partage les mêmes histoires, les mêmes récits universels. Je me concentre sur mon coin de pays, mon dialecte. Je ne recrute pas des acteurs venant d’ailleurs. À l’école, j’ai appris que la vie était un jeu. Tout le monde peut jouer.
Comment montrez-vous vos films à votre premier public?
De nos jours, sur des petits écrans, on n’a pas le choix. Autrefois à Igloolik, il y avait un cinéma qui montrait des films américains en 16mm. Je me rappelle avoir vu mon père, qui ne parlait pas un mot d’anglais et les comprenait à peine, regarder des films de cowboys avec ses amis.


