
Marcello Mio marque les retrouvailles du cinéaste français avec sa muse, Chiara Mastroianni, dans une méditation tendre et «méta» sur l’héritage des acteurs.
Si on inclut sa brève apparition dans La belle personne, il s’agit de votre septième collaboration avec Chiara Mastroianni.
Je voulais retrouver Chiara et m’interroger sur la question de la mémoire au cinéma. Comment, en tant que cinéphile ou spectateur, on se construit une mémoire? Comment les comédiens, eux aussi, dans leur vie professionnelle, tissent une mémoire? L’idée de départ de Marcello Mio est la suivante: comment un film d’aujourd’hui peut-il réactiver la mémoire d’un cinéma disparu?
Quel rapport avez-vous développé avec Chiara Mastroianni au fil des années pour qu’elle accepte de s’abandonner à une telle proposition ?
Lorsqu’on contacte des acteurs pour leur dire qu’ils vont jouer leur propre rôle, ce n’est pas une bonne nouvelle pour eux. Forcément, ils se sentent presque niés dans leurs compétences d’acteur. Ça nécessite beaucoup de confiance. Chiara a bien vu que le scénario n’avait rien de l’ordre du biopic. C’est une espèce de rêverie. Le film est tout le temps dans la fantaisie.
Catherine Deneuve dit dans le film que «le cinéma n’assure pas l’immortalité». C’est paradoxal puisque l'acteur est fixé dans le temps grâce à l’image.
Surtout dans cette famille. Deneuve et Marcello ont laissé une trace dans l’imaginaire des gens. On peut très bien s’être fait une idée d’eux sans jamais avoir mis un pied dans une salle de cinéma. C’est vrai que ce rapport à l’immortalité est particulier. Nous, en tant que spectateurs, pensons naïvement que le cinéma est capable de capter l’essence d’une personne. Mais ce que dit Catherine, c’est que les gens ne se souviendront pas d’elle, mais d’une image, forcément factice.
Dans le film, le concept de mémoire se joue également de manière intime à travers la métamorphose de Chiara en Marcello.
Elle ne se déguise en son père pour le retrouver. Pour elle, c’est plutôt de revivre son père. Il y a une ressemblance entre les deux, mais on la projette. Elle ne sait jamais si les souvenirs de son enfance sont de nature personnelle ou s’ils sont créés à partir de ce qu’elle projette des films qu’elle a vus mettant en vedette ses parents. Notre mémoire fabrique de faux souvenirs. Chez elle, la frontière entre la fiction et le réel est trouble.
Et le geste de Chiara de se déguiser en son père devient une forme d’acte queer.
Oui, elle se transforme en homme. En tant qu’actrice de 50 ans, elle se retrouve soudainement devant l’éventualité d’être un acteur. Qu’est-ce que ça change ? Ça la déplace aussi sur le spectre du désir ou de l’attrait qu’elle peut avoir auprès d’autres gens. On voit bien comment ses anciens compagnons, Benjamin Biolay et Melvil Poupaud, sont d’abord troublés. Est-ce que Melvil, par exemple, pense qu’il s’agit d’une mauvaise idée ou est-il fragilisé de voir Chiara en homme ? À l’inverse, ce personnage de militaire anglais [interprété par Hugh Skinner], purement romanesque, déclenche un mini-trouble entre elle et lui.
Fabrice Luchini cite Michel Bouquet en affirmant qu’un acteur ne doit pas avoir du tout de personnalité.
C’est amusant que ce soit lui qui le dise puisque ce n’est pas l’acteur le plus dépersonnalisé qui soit. Je crois que ce concept est un fantasme d’acteur. En tant que cinéaste, ce qui m’intéresse quand je vais chercher des acteurs, c'est de jouer avec leur personnalité. Certainement pas pour avoir une illusion de page blanche. Je n’ai pas ce rapport aux acteurs. Ce qui est amusant est plutôt d’éclairer une partie de la personnalité d’un acteur.
D’ailleurs vous semblez être très à l’aise avec les acteurs. Dans vos 14 films précédents, vous avez collaboré à plusieurs reprises avec Louis Garrel (Ma mère, Dans Paris), Ludivine Sagnier (Les chansons d’amour, Les biens-aimés), Vincent Lacoste (Plaire, aimer et courir vite, Chambre 212, Le lycéen) et Anaïs Demoustier (Les malheurs de Sophie).
Pour moi, passer du temps avec les acteurs fait partie du plaisir d’être sur un plateau. J’ai beaucoup travaillé au théâtre. Donc, je ne suis pas du tout terrifié par les acteurs. Mon rapport avec eux est assez affectueux, assez tendre. Et j’aime bien m’amuser avec eux. Je vois très bien ce qu’ils apportent au film. Ils sont comme des couleurs. Ils colorent un film d’une manière très particulière. Ils me donnent beaucoup de liberté.
Crédit photo : Marie Rouge/Unifrance