Le réalisateur de Jusqu’à la garde pourfend le patriarcat dans Le successeur, un thriller tourné au Québec avec Marc-André Grondin en héros tragique.
Diriez-vous que votre film est une pure tragédie, dans la dimension antique du terme?
Oui, en fait, chez les Grecs la tragédie suscitait chez le spectateur la terreur et la pitié. Pourquoi la pitié? Parce que c’est toujours l’histoire de quelqu’un qui fait le mauvais choix mais s’en aperçoit trop tard.
Le successeur s’ouvre sur un grand défilé de mode en blanc aveuglant, pour ensuite nous entraîner vers la noirceur la plus totale.
Oui, bien sûr! On assiste à la chute de quelqu’un. Il fallait que cette chute s’exprime dans tous les sens du terme, même esthétique. Partir de la plus grande magnificence, la beauté, l’élégance, pour aller dans la monstruosité, le cauchemar le plus total.
Pourquoi lui faire vivre ça? Qu’est-ce qu’il vous a fait, ce pauvre homme? (rire)
(rire) Il ne m’a rien fait! Il y a du Œdipe, il y a du Oreste, il y a du Hamlet, chez lui. Je cherchais un prétexte pour proposer un héros masculin comme on n’a pas l’habitude d’en voir. En général, ils sont courageux. Ils ont le sang-froid. Ce sont des sauveurs. Et lui? Il se fait pipi dessus, il a envie de se sauver, il se prend les pieds dans le tapis… c’est n’importe quoi. C’est un homme qui pleure. On ne voit pas ça souvent!
Jusqu’à la garde, votre précédent film parlait de la violence faite aux femmes, vous aviez envie de traiter aussi de la violence subie par les hommes?
J’avais envie de parler du patriarcat, qui écrase les femmes et les enfants, mais qui écrase aussi les hommes avec ses injonctions : il faut dominer, il faut être puissant, il faut être fort. L’héritage de tout ce conservatoire de la virilité est épuisant.
Dans votre film précédent, comme dans celui-ci, l’impuissance des hommes s’exprime par la violence.
La violence est un choix. Mais ce choix vient de la souffrance. Si on n’essaye pas de résoudre cela, on ne parviendra jamais à rien.
Quelle était l’importance pour vous de l’installer dans le monde de la mode?
C’est symbolique. C’est intéressant parce que c’est un homme qui connaît les femmes, qui connait le corps des femmes et qui n’en a pas peur. Toutes les conditions sont réunies pour que ce qui va se produire ne se produise pas.
Comment avez-vous travaillé avec Marc-André Grondin pour l’amener à trouver la note juste?
Marc-André est un acteur solide et sain. Son personnage va tellement loin qu’il fallait qu’il soit capable de rentrer chez lui le soir et se dire : Le travail est fini. Chez certains acteurs, ce genre de rôle pousse à la dérive. Pas lui. C’est un performant. Un sportif, quoi! Ça rendait tout possible. La confiance mutuelle a fait qu’on s’est délesté de pleins de peurs et qu'on s’est mis d’accord pour faire un film pas tiède, qui va dans la fureur.
Quelles ont été vos inspirations, hitchcockienne ou autres?
De Hitchcock, je retiens la spirale de Vertigo qui est un peu le symbole de ce thriller où, en fait, il n’y a pas d’échappatoire, et où plus on avance, plus l’étau se resserre. L’autre film qui m’a vraiment transporté, c’est Mother!, de Darren Aronofsky. Il avance dans l’horreur de façon fantastique, contrairement à mon film, qui reste très réaliste, très concret. Mais j’admire cette idée d’aller jusqu’au bout, jusqu’aux enfers les plus horribles.
Photo de Xavier Legrand : © Manuel Moutier