Les sorties simultanées de Tromperie et Frère et sœur d’Arnaud Desplechin sont une occasion en or pour parler de cinéma avec le réalisateur, de passage au festival Cinemania. Une formidable déclaration d’amour au 7e art.
Quels sont les cinéastes qui ont fait le cinéphile que vous êtes?
Je suis contemporain de l’explosion du Nouvel Hollywood et de celle du cinéma allemand, les Wenders, Fassbinder, Syberberg, qui m’ont beaucoup marqué. Fellini, aussi, m’attirait parce que c’était sexuel, dangereux, spectaculaire. Mon tempérament ne me portait pas vers Antonioni!
Mais s’il y a un film qui a fait de moi le spectateur que je suis, c’est Shoah de Claude Lanzmann. J’en suis sorti complètement bouleversé. Et c’est là que je me suis rendu compte de ma place de spectateur : j’étais un témoin, le dépositaire du film. J’ai compris l’importance de la place que j’occupais – que je continue à occuper dans les salles obscures – , et à quel point elle est précieuse. Bien sûr, les réalisateurs sont importants, les acteurs, aussi, mais la place du spectateur n’est pas assez valorisée. D’ailleurs, cet été, je vais tourner un film sur le cinéma...
Quels sont les cinéastes qui ont fait le cinéaste que vous êtes?
Il y en a eu beaucoup. Le premier que j’ai vraiment suivi, c’était Lumet, ensuite Coppola et puis, Bergman, évidemment. Mais celui que je choisis, c’est Truffaut, que je n’aimais pas trop au départ et que je prenais à la légère. Mes parents m’ont montré ces films et, pour moi, c’était un cinéaste bourgeois qui faisait des films giscardiens! Et puis, début trentaine, en revoyant un de ces films, je me suis rendu compte que le cinéma de Truffaut est brûlant, pas du tout tiède comme je le croyais. Et depuis, je suis obsédé par lui.
Vous faites des films depuis plus de 30 ans. Que vous reste-t-il à faire au cinéma?
Depuis quelques temps, je suis dans la découverte. Quand j’ai commencé à faire des films, je disais que mon métier, c’était de faire des films trop longs! Pas très longs, mais trop longs. Je les bâtissais sur des digressions. C’est un peu ma façon de penser et d’être au monde. Et puis, je me suis dit que j’aimerais faire un film qui soit obsédé par son sujet, comme La chambre verte, et ç’a été Frère et sœur, qui repose sur une seule question « À quoi ça sert de haïr? ». Et, à la fin du film, la question est réglée une fois pour toutes : ça ne sert à rien.
Un autre sillon que j’aimerais creuser : j’ai toujours trouvé que les rêves et les films ont beaucoup à voir. Pour Tromperie, j’avais en tête une adaptation à la Guitry, à la Lubitsch mais, en fait, c’est un film qui ressemble à un rêve. J’ai donc réussi à faire ça. À l’inverse, avant Roubaix, une lumière, je n’avais jamais imaginé faire un film collé au réel, où il n’y a pas d’imagination. Voilà, pour les années à venir, il me reste des challenges comme ceux-là à approfondir.
Qu’est-ce que le cinéma peut encore nous apporter au 21e siècle?
J’ai eu la chance d’être ami avec Stanley Cavell, un philosophe américain qui a beaucoup compté pour moi et qui a écrit un livre intitulé Le cinéma nous rend-il meilleurs?. Je pense, évidemment, que oui. Cette conversation entre le film et le spectateur nous aide à vivre. Dans la vie, on peut difficilement réparer les choses, mais au cinéma, oui. Alors quand on voit, par exemple, la haine « réparée » dans Frère et sœur, on se dit « Je n’ai qu’à faire comme ça dans ma vie. » On va voir des films pour réparer nos vies, mais c’est une réponse un peu 20e siècle...
Aujourd’hui, le cinéma nous montre que la vie est plus ample qu’on le pensait. Dans le quotidien, la société nous renvoie souvent l’image d’une vie étriquée. Mais quand elle est filmée, tout scintille, tout vibre parce que ça devient plus grand que nous. C’est vrai depuis les débuts du cinéma, quand les Frères Lumière filmaient les scènes les plus banales. On se rend compte que nos vies sont immenses. Et le cinéma nous le montre. Encore aujourd’hui, au 21e siècle.