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iamge nouvelles
2019-02-09

Entrevue avec Denis Côté

En amont du Festival de Berlin, où Répertoire des villes disparues est projeté en compétition officielle, le réalisateur Denis Côté a accordé une entrevue à notre rédacteur en chef Martin Bilodeau.

Tous tes films se déroulent dans le monde rural. Pourquoi?

Je suis quelqu’un de très urbain. Je n’ai ni permis de conduire, ni voiture. Je ne devrais peut-être pas dire ça, mais je ne m’intéresse qu’aux lieux et réalités que je connais très peu (le monsieur de Carcasses, les ouvriers de Que ta joie demeure, les culturistes de Ta peau si lisse). Ça me donne l’impression d’avoir un regard vierge, neuf ou même naïf sur les personnages ou les choses. Mon imagination s’active beaucoup plus à la campagne, où j’ai l’impression de pouvoir tout faire. C’est un champ de possibles sans fin et un lieu de tous les excès. Dans mon esprit, c’est là où les gens font les mauvais coups, cachent les secrets ou vivent tout simplement les aventures les plus entières.

Plusieurs films récents abordaient le sujet de l’agonie des régions, mais avec un regret affiché qui m’a semblé absent du tien. Avons-nous franchi un point de non-retour à ton avis?

Que ce soit dans la vie ou dans l’art, je n’éprouve aucune nostalgie et je n’en suis pas client. J’ai un regard très présent et très actif sur les choses. Je ne m’apitoie pas sur la beauté suggérée du passé d’Irénée-les-Neiges et je ne suis pas très intéressé par la noirceur ou l’espoir que porte son futur. Il y a un Ici et un Maintenant dans notre Québec qui m’interpelle et qui me questionne. La région n’est qu’un cadre dans le film. Je parle du Nous et du Québec d’aujourd’hui avec un regard oblique qui se situe entre l’accusation et le cri de ralliement. Ce n’est pas le ton du justicier social ou du snob qui a tout compris. Répertoire des villes disparues est un film sur notre résistance au changement. Le film est rempli de prétextes pour se promener librement entre le ‘Mais de quoi avez-vous aussi peur?’ et le ‘arrêtez de vous laisser vivre’. Je vois le village comme une entité endormie. Et quelque chose s’approche de cette terre à demi morte. Le plaisir est de choisir ce qu’est ce quelque chose et ce que sont ses intentions. Je dois cultiver l’ambiguïté et laisser le spectateur à ses interprétations, sinon mon scénario peut virer à l’idéologie, la réaction ou l’opinion.      

Le personnage joué par Larissa Corriveau est-il simple d’esprit ou mystique?

Larissa joue Adèle, un véritable personnage de film de genre, au carrefour de toutes les peurs. Elle est celle que l’on accuse vite dans les films policiers. Elle est celle que l’on délaisse vite, parce que simple d’esprit, dans les films d’horreur. Puis, elle est « celle qui avait tout compris » typique des séries B. C’est le personnage aimant et aimable qui est forcément de toutes les joies et de tous les drames. Elle ne comprend rien mais elle sait, elle voit, elle sent.  

Les revenants de ton film feront fatalement penser aux zombies des Affamés, également figures métaphoriques d’un monde rural entre la vie et la mort. Peux-tu nous dire ce qui les distingue?

J’ai pensé qu’on me dirait que le film est une sorte de prequel aux Affamés. Robin a fait un travail merveilleux. Il a réfléchi au film de genre, à ses clichés, à son héritage. J’ai un grand amour pour le genre, mais Répertoire des villes disparues a un vernis moins cool et les fans de films d’horreur n’éprouveront pas un plaisir à décortiquer ses trouvailles. Oui les morts reviennent au village - réellement et métaphoriquement - mais je les utilise comme prétexte pour mieux parler des vivants et de leur résistance au changement; à la différence, de leur peur de l’autre, qu’il soit vivant, mort, blanc, noir, avec un voile ou avec une valise à la frontière.  

J’ai beaucoup pensé à Gilles Carle et à La vraie nature de Bernadette en regardant ton film. Mais je doute qu’il t’ait inspiré consciemment. Quelles étaient tes sources d’inspiration pour ce film?

Je pense qu’au onzième long métrage, on ne s’abreuve plus beaucoup au travail des autres. On cherche davantage à se bousculer soi-même. Très frontalement, je dirais que la lecture du roman poétique de Laurence a coincidé avec les premières vagues de migrants qui arrivaient à Lacolle. J’avais envie de créer quelque chose dans la périphérie de ce phénomène et de ce débat. Dans la forme, c’est Boris sans Béatrice et son insuccès qui m’ont un peu remis à ma place. J’avais tenté de jouer le jeu de la comédie moraliste un peu universelle, avec la belle image, les belles lumières, le joli spectacle en 35mm. Répertoire des villes disparues est un retour dans mes terres; quelque chose de plus discret dans la manière, faussement relâchée; le look 16mm granuleux, l’imprécis et l’impur... Je me sens comme dans Curling, perdu devant l’objet en même temps que mes personnages.

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