D’amour et d’humanité : 7 questions à Levan Akin

27 juillet 2024
entrevue

Après le succès de And Then We Danced, le Suédois Levan Akin est de retour avec Crossing, une magnifique ode à la solidarité entre trois étrangers. Entrevue avec un cinéaste empathique et humaniste.

Cinq ans après And Then We Danced, pourquoi avoir voulu continuer à vous intéresser à la relation entre les réalités LGBTQ+ et la Géorgie ?

Avec ce film, je voulais parler de ces questions d’un point de vue générationnel. Il y a eu un gros débat lorsque And Then We Danced est sorti en Géorgie. Les plus jeunes et les personnes plus âgées s’affrontaient. J’ai senti qu’il y avait une description simplifiée des enjeux. Et c’est pourquoi j’ai décidé de raconter cette histoire.

Pour quelle raison avoir choisi de placer cette femme à la recherche de sa nièce trans au centre de votre histoire ?

Elle est inspirée de femmes que j’ai rencontrées en grandissant en Géorgie. On sent que Lia s’est opposée à vouloir se marier, qu’elle ne voulait pas se soumettre à un homme, consciemment ou non. Elle n’a pas eu d’enfants. Elle a vécu sa vie comme bon lui semblait, en défiant le patriarcat. Achi, quant à lui, veut quitter un environnement de masculinité toxique. Il ne s’y sent pas confortable. Pour moi, ces personnages résistent à une norme.

Vous incluez également la perspective de la communauté trans à travers le personnage d’Evrim.

Je ne voulais pas créer un récit où un personnage cherche une personne trans sans en rencontrer une seule durant le film. Lorsque j’étais en Turquie, avant que le long métrage ne prenne forme, j’ai passé beaucoup de temps avec des gens de la communauté. Ce que j’ai vu et vécu devait être partagé avec le public. De plus, Evrim est un personnage positif et résilient, malgré tous les obstacles auxquels elle fait face. Souvent, les histoires mettant en scène des personnages queer sont plutôt sombres et tragiques. Même si mes films possèdent ces côtés plus obscurs, je ne veux jamais y sombrer. Je veux que mes films inspirent et aient le pouvoir de changer les choses.

L’idée de «traversée» évoquée par le titre est présente de manière émotionnelle dans le film, mais aussi de façon géo-politique. Les personnages réussissent à communiquer malgré la barrière de la langue.

Je crois que ça témoigne d’un thème qui revient souvent dans mon travail, celui de la solidarité. Nous vivons dans des temps sombres et précaires. Pour moi, ces films sont une manière thérapeutique de me rappeler qu’il existe de la bonté autour de nous. Mes films ne sont pas cyniques, ils sont sincères. Et c’est stimulant à concevoir.

On sent votre caméra très libre. Quelles étaient vos influences visuelles ?

[Avec ma directrice photo Lisabi Fridell], nous avons beaucoup parlé de faire en sorte que la caméra devienne un personnage en soi, qu’elle soit en quelque sorte une paire de yeux, très observatrice. Aussi, nous avons abordé l’importance de demeurer réaliste, d’attraper une vérité. Les maîtres du néo-réalisme italien demeurent une grande inspiration pour moi à cet égard.

Vous représentez la ville d’Istanbul de manière vivante et pas nécessairement comme un lieu pour disparaître, tel que mentionné dans le film.

La Turquie dans son ensemble est un paradoxe fascinant. Je souhaitais montrer que, d’un côté, Istanbul est un endroit où on peut se découvrir et trouver sa famille choisie, et de l’autre, que c’est un lieu où il est possible de devenir anonyme. Ce qui représente une bonne chose si on veut éviter le jugement des autres. Je crois que c’est l’une des raisons pour laquelle, en général, les membres de la communauté LGBTQ+ migrent vers les grandes villes. Ils n’ont pas à croiser leur voisin ou leurs camarades de classe qui portent un jugement sur eux.

Comment avez-vous trouvé vos acteurs ? Cela semble faire partie de votre démarche créative de faire appel à des non professionnels comme c’est le cas pour Lucas Kankava et Deniz Dumali, qui interprètent les rôles d’Achi et Evrim.

La distribution des rôles pour ce film a été extrêmement difficile. Pour ce type d’histoires, c’est primordial de trouver les bonnes personnes. Il n’y a pas énormément d’actrices trans en Turquie. Nous avons cherché partout. C’est quelque chose avec lequel je suis en effet confortable dans ma démarche. Lorsqu’on trouve les bonnes personnes, ça n’a pas d’importance si elles sont professionnelles ou non. Il faut seulement travailler avec elles différemment pour obtenir la performance que l’on cherche. J’adore aussi travailler avec des acteurs professionnels ! Dans le cas de Mzia Arabuli [qui interprète Lia], mon choix s’est arrêté après une série d’auditions.

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