Thomas Cailley et le virus animal

6 février 2024
entrevue

Rencontre avec le réalisateur français Thomas Cailley à l’occasion de la sortie en salle cette semaine de son second long métrage, Le règne animal, avec Romain Duris.

Dystopie, anticipation…, comment définissez-vous Le règne animal?

Disons que ça se passe “de nos jours”, plutôt qu’aujourd’hui. À cette différence près que, deux ans avant le présent de l’action, il y a eu un début de mutation inexpliqué, mystérieux, qui touche certains humains et qui les transforme petit à petit en autre chose.

Votre film m’a rappelé L’Île du docteur Moreau, est-ce que ce film vous dit quelque chose?

Ah oui bien sûr! Je l’ai découvert pendant la préparation du film. Je ne le connaissais pas, c’est mon directeur de casting qui m’a conseillé de le regarder. C’est amusant parce que mon film, c’est presque L’Île du docteur Moreau à l’envers.

Alors quelles ont été vos influences?

À l’écriture, j’étais obsédé par la relation entre le père et le fils. C’est ça qui structure l’histoire, donc les influences se trouvent davantage à ce niveau-là de l’intrigue. Je me souviens avoir demandé à tout le monde de voir À bout de course de Sidney Lumet, qui m’intéressait énormément par rapport à cette question, et puis Un monde idéal de Clint Eastwood, qui est aussi une sorte d’invention de paternité et de transmission au cours d’un voyage.

Pourquoi cette métamorphose, pourquoi aujourd’hui?

Pour remettre au centre d’un film l’idée qu’on partage une ascendance commune avec tout le reste du vivant. L’espèce humaine est la seule, à ma connaissance, à avoir tracé une frontière entre elle et la nature. On la regarde, on l’exploite, on la pille, on la transforme, on la détruit, on la fait renaître par endroits, on la protège… En fait, on la gère comme une ressource. Or, plutôt que de proposer un énième film apocalyptique dans lequel il n’y a plus rien parce que l’Homme est allé au bout de sa stratégie productiviste, on s’est dit tiens, imaginons l’inverse. Imaginons une anomalie qui viendrait tout foutre en l’air parce que cette frontière entre l’humain et la nature disparaît, devient floue.

J’imagine que la pandémie de Covid 19 a teinté votre film.

Absolument, mais de façon involontaire. Nous [avec la coscénariste Pauline Munier] avons amorcé l’écriture un an avant le déclenchement de la pandémie. Puis, lorsqu’elle est arrivée, qu’on a vu les autoroutes désertes, des policiers chinois qui attrapaient des gens avec des épuisettes géantes, on s’est vraiment demandé à quoi sert de raconter cette histoire quand la réalité dépassait la fiction? Puis, quelques semaines plus tard, le monde était entré dans une sorte d’entre-deux. On faisait mine de revenir à la normale. On se berçait de l’illusion qu’on gérait. Cet état-là était précisément la matière ambiguë avec laquelle on souhaitait modeler le film.

Diriez-vous que le film a été enrichi par la pandémie?

En tous cas, elle nous a permis d’accélérer les choses. On a eu moins besoin de s’expliquer. Sur les premières versions du scénario, on se faisait répondre : il faut nous dire d’où ça vient, comment ça se transmet, s’il y a un remède… La pandémie a rendu possible l’idée qu’un truc pareil puisse arriver sans que personne ne comprenne. Ça a libéré le récit. Le règne animal est devenu un film sur le comment, au lieu d’un film sur le pourquoi.

J’ai adoré la forêt dans votre film. Elle a quelque chose d’irréel, qui relève presque du conte…

Nous avons tourné dans le Sud-Ouest, dans les landes de Gascogne, où on retrouve une forêt implantée par l’homme, mais où il reste encore quelques endroits restés à l’état naturel depuis 1000 ans. On y retrouve des lagunes, des marécages, des grandes fougères arboricoles, et ce climat très suintant. Il y a quelque chose de presque préhistorique dans ce lieu qui correspond bien au propos du film.

Photos : Courtoisie de Métropole Films Distribution

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