Cinq ans après Soleils noirs, le documentariste Julien Elie expose un réseau corrompu de dépossession territoriale semant la terreur au Mexique. Bienvenue dans La Garde blanche.
Comme dans Soleil noirs_, on sent l’importance du cinéma dans votre démarche documentaire. Comment cela se conjugue-t-il dans votre pratique ?_
Après Soleils noirs, qui s’attardait au phénomène de la violence au Mexique, pourquoi s’intéresser de nouveau à ce pays au sud des États-Unis ? De quelle manière plus exactement ? Est-ce que Roberto de la Rossa a été une porte d’entrée vers le sujet de la dépossession ? Dans le film, il n’y a aucune violence contextualisée ou graphique. Comment en témoigner sans jamais la montrer ?
J’évite par tous les moyens de faire de la mise en scène. Toutefois, j’investis beaucoup de temps pour aller sur les lieux en préparation. Je prends plusieurs photos et un ami à moi a conçu un scénarimage (storyboard). Ces dessins sont très utiles pour travailler plus tard. [...] De cette manière, j’ai l’impression que j’arrive à convaincre les gens plus que par le discours. Et c’est très naturel chez moi. Avec Ernesto Pardo [l’un des deux directeurs photos], et Sylvain Bellemare à la conception sonore, c’est un travail qu’on amorce très tôt, voire des années à l’avance.
On découvre dans La Garde blanche que des entreprises canadiennes participent au système de silence et de terreur que vous décrivez.
Une grande majorité du sous-sol au Mexique appartient à des minières canadiennes. C’est aberrant. Je pense qu’on exporte des formes de colonialisme. Le Canada est un pays qui a fait toute sa richesse de l'extractivisme. [...] Je crois que le film est complètement universel. Il y a eu des histoires similaires partout à travers le monde. La différence est que le Mexique n’est pas du tout un état de droit. Il l’est dans sa structure fédérale. Des élections tout à fait légales ont lieu et il y a une presse libre, mais il y a plein de zones de non-droit. La distinction est là.
Le tournage a-t-il présenté certains dangers ?
On a tourné dans une quinzaine d’états à travers le Mexique. Par exemple, on a choisi d’aller filmer dans un village d’à peu près 300 habitants situé dans l'État d’Oaxaca. On venait d’y tuer quatre personnes. Mingo, l’un des premiers personnages du film qu’on aperçoit dans le village a été assassiné quelques mois après le tournage. On ne peut pas dire que c’est nous qui l’avons mis en danger, mais ça démontre comment ces gens sont constamment exposés.
Comment réussit-on à les convaincre de briser le silence ?
Les gens acceptent assez rapidement, comme Roberto. Il n’a peur de rien. C'est un héros moderne, une figure de résistance. Il a son affiche d’Emiliano Zapata dans sa cuisine. Il se reconnaît dans les révolutionnaires mexicains. Dans le village d’Oaxaca, ce fut un long travail. Tous se demandaient si ça valait la peine de parler, alors on a collaboré avec des associations locales. La Garde blanche représente deux ans d’appels téléphoniques, de courriels et de préparation.