
Rejointe au téléphone à quelques minutes de fouler le tapis rouge pour la première mondiale à Cinemania de son 20e long métrage, On sera heureux, en salle ce vendredi, Léa Pool s’est prêtée de bon cœur au jeu de l’entrevue cinéphile.
Que pensez-vous de Montréal comme décor de cinéma?
J’ai un amour pour cette ville, qui m’a toujours inspirée. Je ne suis pas sûre que j’aurais été capable de filmer Lausanne ou Genève comme je filme Montréal. Parce qu’il y a toujours [dans le regard] ce petit décalage, par le fait que je suis arrivée ici à un certain moment de ma vie. C’est difficile à expliquer.
L’immigration est le fil d’Ariane de votre œuvre: celui-ci est-il différent des autres et si oui, en quoi?
C’est un thème qui m’habite personnellement, étant moi-même immigrante, évidemment dans un contexte plus favorable [que celui des personnages d’On sera heureux]. Le sujet de Michel-Marc rejoint chez moi des choses profondes, qui n’étaient pas nécessairement conscientes au moment où je travaillais sur le projet. On sera heureux parle de l’exil, d’un pays vers un autre, mais il parle aussi de l’exil intérieur. Saad et Reza [du fait de leur homosexualité] vivent en exil dans leur propre pays. En exil d’eux-mêmes. C’est quelque chose qui m’habite depuis toujours, par le fait que je porte le nom de ma mère, non pas celui de mon père, qui était apatride.
Lequel de vos films aimeriez-vous refaire, si on vous en donnait l'occasion?
Mouvements du désir. Je n’ai pas réussi à faire ce que je voulais. J’avais vraiment une idée sur le parcours du train, du fantasme, avec le train comme métaphore de la pellicule qui défile. C’en fait un film assez moyen, qui aurait pu être plus fort, mais je n’ai pas su comment. À la réflexion, je ne saurais pas non plus comment le refaire aujourd’hui.
Au moment de préparer On sera heureux, aviez-vous un film en tête, un exemple ou une inspiration?
Michel-Marc et moi avons beaucoup parlé de Fox et ses amis [Le droit du plus fort au Québec], de Rainer Werner Fassbinder. Pour la fascination de Sadd envers la richesse et l’aisance du personnage de Laurent, et du fait qu’il se sente un peu piégé, alors qu’au départ il l’avait séduit pour sauver son ami. Cette inspiration venait de Michel-Marc, mais comme on connaissait tous les deux très bien le film, ça a été pour nous un point d’ancrage. Aux acteurs, j’ai montré l’extrait de Being at Home with Claude, pour l’aspect très charnel du désir, et expliquer comment je voulais filmer ces scènes-là.
Qui m’ont rappelé À corps perdu, sans doute votre film le plus sexy.
Oui, et À corps perdu a été produit dans les années 80. On voyait Jean-François Pichette nu de front, et la scène d’amour à trois était très explicite. On était moins pudiques dans les années 80 qu’on l'est aujourd’hui il me semble.
Quels films LGBTQ+ sont pour vous incontournables?
J’ai été très touchée par Carol [de Todd Haynes]. Le rapport entre ces deux femmes, l’une plus âgée, m’a profondément touchée. Le désir et l’impossibilité de l’amour, ou de le vivre, ou toutes les contraintes, me rejoignent, pour mille raisons qui m’appartiennent. Mais le premier qui m’a vraiment troublée, c’est Toute une nuit de Chantal Akerman, où elle se filme elle-même faisant l’amour. C’était assez provocateur mais assez troublant aussi de voir un film comme ça. Côté hommes, je dirais Brokeback Mountain [d’Ang Lee]. Ça tourne toujours autour de l’impossibilité. Le désir et l’impossibilité de ce désir. C’est ça qui me touche le plus.
Si vous aviez un film à recommander à Saad, lequel serait-ce?
L’homme blessé de Patrice Chéreau. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais c’est ce qui me vient en tête, comme ça à brûle pourpoint.
crédit photo: Danny Taillon


