
Danny Elfman recevra à Fantasia le prix Cheval Noir couronnant l’ensemble de sa carrière. De passage à Montréal pour l’occasion, le compositeur attitré de Tim Burton (on dénombre près de 20 collaborations) donnera une classe de maître et présentera le court métrage Bullet Time, dont il signe la musique.
Quels projets ont été pour vous les plus décisifs ou les plus formateurs sur le plan créatif ?
Tous ceux du début. Quand j’ai commencé avec Pee-Wee’s Big Adventure, j’étais pour ainsi dire un amateur de musique de films à qui on offrait soudainement sa chance. Je décrirais l’expérience comme celle d’un fan de hockey ou de basketball à qui, tout d’un coup, on passe la rondelle ou la balle. Après, avec Tim [Burton], j’ai fait Beetlejuice, Batman et Edward Scissorhands. Il me demandait pourquoi je trouvais le temps de plancher sur quatre ou cinq autres projets entre les siens. Je lui ai dit : “si je ne le fais pas, je ne serai pas à la hauteur”. Chacun de ses films me demandait de me surpasser encore plus. Je devais apprendre pour construire une trousse à outils plus complète.
Vous avez également travaillé à plusieurs reprises avec Gus Van Sant et Sam Raimi. Comment adaptez-vous votre langage musical à chacun de ces univers ?
Ils ont des personnalités très différentes. Gus est quelqu’un qui adore l’expérimentation. Ses films n’ont souvent pas d’orchestration et les sons sont parfois inventés. On peut, par exemple, aller en studio et demander aux instrumentistes de faire grincer leurs cordes. Sam [Raimi], pour sa part, veut faire quelque chose de grand, d'amusant et de fou. Il veut juste que ça ressemble à ses films.
Composez-vous en lisant le scénario, en regardant les images ou préférez-vous prendre votre temps avec le réalisateur ? Quel est votre processus ?
Chaque projet est différent, mais j’essaie de ne pas aller trop loin à partir du scénario. J'ai appris cela avec Beetlejuice. Tim m'avait envoyé le scénario et, comme j'avais du temps libre, j'ai composé plusieurs morceaux. Aucun d'entre eux n'a été retenu. Lorsque j'ai vu le film, il ne correspondait pas à ce que j'avais imaginé. Une grande partie de la bande originale est inspirée du style, du rythme, des performances, du montage et des décors. Maintenant, quand je regarde un film pour la première fois, j'essaie d'avoir l'esprit complètement vierge.
Quelle trame sonore considérez-vous être la plus intime, la plus personnelle ?
A Nightmare Before Christmas était un projet très personnel. En écrivant l'histoire de Jack Skellington, j’avais l’impression de composer la mienne en même temps. Mais j'ai quand même des moments préférés un peu partout. Cependant, je suis conscient que ces moments pourraient ne pas survivre au montage final. En tant que compositeur, peu importe à quel point vous aimez quelque chose, si le réalisateur ne l'entend pas, ça ne se concrétisera pas dans le film. Et il faut apprendre à lâcher prise.
Est-ce qu’il y a une trame sonore pour laquelle la composition a été plus difficile, voire même douloureuse ?
Beaucoup de films ont été pénibles, même avec Tim Burton. Pee-Wee's Big Adventure s'est fait très naturellement. Mars Attacks! aussi. Je l'ai tout de suite entendu dans ma tête. Mais pour des films comme Big Fish et Alice in Wonderland, j'ai dû beaucoup expérimenter. Pour Big Fish, j'ai travaillé pendant des semaines et des semaines sur différentes idées. C'était un peu une démarche circulaire : après de nombreuses explorations, j'ai fini par trouver le centre. Mais cela ne me fait pas aimer cette bande originale plus ou moins qu'une autre. Certaines sont faciles, d'autres sont difficiles. Cela fait partie du processus.
Y a-t-il un film dans lequel vous avez eu une liberté totale et que vous considérez comme un terrain idéal pour l'exploration musicale ?
La plus grande liberté que j'ai jamais ressentie, c'était probablement dans les premiers films de Tim. Il n’intégrait pas de musique temporaire pour ses films. Il n'était attaché à aucun genre musical. Aujourd'hui, il y a des musiques temporaires et les réalisateurs passent des mois à écouter des morceaux pour les trouver. Ça peut être vraiment dur de se sortir ça de la tête. J'ai compris à quel point j'avais eu de la chance de participer à des films qui n'avaient aucune idée de ce qu'ils étaient censés être.
À votre avis, qu'est-ce qui distingue une excellente musique de film d'une très bonne musique de film ?
Je pense que la plupart des films que je vais voir ont de très bonnes bandes originales. Mais aucune ne m'a marqué. Si j'entendais un morceau de musique d’un de ces films une semaine plus tard, je ne m'en souviendrais probablement pas. Une excellente bande originale reste gravée dans votre mémoire. Si vous entendez la musique plus tard, vous vous souvenez du film dans lequel vous l'avez entendue. Elle crée un lien. Elle est puissante sur le plan émotionnel et vous laisse une impression, comme un fantôme gravé dans votre esprit.