
Peut-on remettre en question son existence à 50 ans ? C’est la question que pose Carine Tardieu dans L’attachement, une étude sensible sur le lien inattendu entre une féministe célibataire et son voisin âgé de 6 ans.
Votre film est adapté du roman L’intimité d’Alice Ferney. Vous avez établi une nouvelle structure narrative qui se déploie sur douze chapitres marquant l’évolution de Lucille, l’enfant que Cécile a mis au monde avant de mourir.
En devenant mère, j’ai été frappée de voir à quel point les enfants, quand ils grandissent, nous font prendre conscience du temps qui passe. Quand on a 20, 30, 40 ans, on se voit vieillir, mais très doucement. Chaque étape marquée dans la vie d’un enfant (ses premiers pas, ses premiers mots) ne permet aucun retour en arrière. Il me semblait que ces étapes de la vie de Lucille étaient synonymes de deuil pour le personnage d’Alex, mais aussi de l’attachement pour Sandra et de tous les personnages autour d’eux. Ça crée une rythmique presque musicale qui va dans le sens de la vie.
Le rapport que vous créez entre Sandra et Alex est affectif, mais pas amoureux. Cela permet de déjouer les codes de la comédie sentimentale.
Je trouvais intéressant que cette femme qui se veut libre et indépendante ne termine pas dans les bras d’un homme. Non seulement ça aurait été très convenu, mais ça aurait représenté un retour en arrière, quelque chose d’anti-moderne pour moi. J’aime l’idée qu’on puisse garder une certaine forme de liberté tout en n’ayant pas peur de s’attacher à des gens, de créer des liens et de prendre le risque de l’amour et de l’affection.
Vous aimez explorer la complexité des liens qui peuvent unir un homme et une femme dans vos films.
Souvent, il y a une impossibilité. C’est le propre de la comédie sentimentale, même si mes films n’en sont pas à proprement parler. Sur Ôtez-moi d’un doute, c’était un potentiel frère et une sœur. Dans Les jeunes amants, le personnage féminin était beaucoup plus vieux que ce père de famille qu’elle rencontre. Est-ce que c’est autorisé ? Possible ? À quoi ça ressemble et d’où vient cette nécessité d’aller vers l’autre ?
La figure de l’enfant est aussi présente dans votre cinéma.
Si je n’avais pas été maman, je ne crois pas que j’aurais réussi à faire ce film. L’attachement parle aussi de la rencontre que l’on fait avec son propre enfant, qu’on le mette au monde soi-même ou pas. Ce que j’adore avec les enfants, c’est qu’ils vont à l’essentiel tout de suite. Ils vous poussent dans vos retranchements. Il n’y a pas de filtre. Dès le départ, Elliott désarçonne Sandra en lui disant de telles vérités qu’elle ne peut qu’être attentive et interpellée.
Il y a aussi Alex, personnage masculin interprété par Pio Marmaï, qui affiche sa fragilité.
Il souffre beaucoup. Il a des impulsions tragiques et se débat avec son malheur. En règle générale, dans mes films, les personnages font du mieux qu’ils peuvent pour se comporter de la meilleure façon possible avec les gens qui les entourent. N’empêche, parfois ils sont dépassés par leurs émotions, mais j’essaie de les faire évoluer et qu’ils se rapprochent le plus possible d’une vérité, de ce qu’ils sont fondamentalement.
Quelles étaient vos inspirations visuelles pour raconter cette histoire ?
J’ai tendance à vouloir faire une mise en scène la plus discrète possible. Ça s’imposait d’autant plus que j’avais des enfants sur ce film et il fallait être assez réactif. Je crois que j’aspire avec le temps à ce que la caméra m'embarrasse le moins possible, à ne pas contraindre les acteurs dans des cadres. Je cherche plutôt à ce que ce soit eux qui nous guident. N’empêche, tout est quand même très préparé à l’avance, ce qui me permet au tournage de me dégager de la technique et de me concentrer sur le jeu d’acteurs.
Comment en êtes-vous venue à choisir Valéria Bruni-Tedeschi pour interpréter cette quinquagénaire qui devient une mère de substitution pour son petit voisin ?
Valéria a un tempérament de feu. Elle est difficile à tenir, très organique et expansive. C’était plus simple, d’une certaine manière, de travailler avec une actrice qui possède tout ça et d’en faire un personnage très en contrôle pour, petit à petit, lâcher ce qu’elle a en elle. Comme c’est une actrice très impulsive, ce fut un boulot de chaque instant de la contraindre à rester dans son personnage. Souvent, c’était un peu rude, pour elle comme pour moi. [...] Elle n’a eu de cesse de résister et je n’ai eu de cesse de tendre les rênes. Je ne regrette pas une seconde et elle non plus. Le personnage est d’autant plus riche grâce à cette tension.
Crédit photo : Marie Rouge