
Sept ans après Nos batailles, Guillaume Senez et Romain Duris se retrouvent dans Une part manquante, à l’affiche ce vendredi 11 avril.
Une part manquante met en lumière une réalité sociale méconnue du Japon. Quel a été votre processus de recherche?
Guillaume Senez : On a commencé par rencontrer trois pères qui sont en fait les protagonistes de l'émission «Envoyé Spécial». Il y avait Vincent Fichot, Emmanuel de Fournas et Stéphane Lambert. Romain a rencontré Vincent Fichot. [...] On a passé du temps avec eux, ça nous a nourris. Dans un deuxième temps, Jean Denizot, le co-scénariste, et moi sommes allés au Japon pour terminer l'écriture du film. Et là, on a participé à une manifestation contre les enlèvements d'enfants. On a rencontré énormément de papas, mais aussi de mamans. Le film n'est pas leur histoire, mais on a puisé des petites choses à gauche à droite.
Une autre façon de s’imprégner d’un pays étranger est par la langue. Est-ce que cela pose un défi quant au rendu de l’émotion lorsqu’on doit apprendre le japonais et porter attention à l’intonation ou la technicalité des mots ?
Romain Duris : Si, il y a un défi sur le fait de balancer les phrases, les mots, mais de ne pas oublier dans quelle émotion on est et ce que ça signifie. La traduction est moins facile, mais quand on prend quatre mois pour apprendre la langue, il y a des mots qui surgissent, qui nous éveillent le cœur et nous font vibrer différemment. On s'appuie sur des petites aides comme ça, qui nous reconnectent à une sensation spontanée. C'est comme en anglais; quand ce n’est pas notre langue maternelle, il y a un risque de moins ressentir quand on formule les choses, d'exagérer le ressenti, d’avoir peur qu'il n'y en ait pas assez.
Le personnage de Jessica, interprété par Judith Chemla, est un peu à l'opposé de Jay, plus solitaire et résigné. Il n’est pas non plus construit comme un intérêt amoureux.
Guillaume Senez : Les deux sont dans une vie monacale. Ils ont leur quête, leur bataille et rien ne peut interférer là-dedans. On aimait beaucoup le film Le Samouraï (1967) et ça nous a beaucoup inspirés. Je ne dirais pas que Jessica est à l'opposé de Jay, je dirais plutôt qu’elle est son miroir, neuf ans plus tôt. C'est-à-dire qu'elle arrive comme elle est, un personnage très entier, un peu soupe au lait, un peu haute en couleurs, qui monte très vite dans les tours, etc. Ce personnage nous fait comprendre ce que Jay a vécu neuf ans plus tôt, sans qu'on ait besoin de trop expliquer.
Comment expliquez-vous la chimie entre Romain et Mei Cirne-Masuki, la jeune actrice qui joue Lily ?
Romain Duris : [Mei] était à fleur de peau et hyper émouvante. Le premier assistant, qui s'occupe un peu de l'organisation du tournage, nous a aidés en faisant en sorte qu'on puisse tourner les scènes dans l'ordre chronologique. On s'est servi au départ de sa timidité. Il y avait donc beaucoup de silence, d’observation, de mots un peu anodins entre nous, comme on voit dans le film. Petit à petit, elle a commencé à comprendre le jeu, elle a découvert Guillaume, elle s'est sentie de mieux en mieux.
Est-ce que le Japon est un territoire qui vous était familier ? Avez-vous pu vous préparer en amont du tournage ou était-ce plus instinctif ?
Guillaume Senez : Je ne fais jamais trop de préparation ni de répétitions. J'aime bien tout de suite filmer des choses parce qu'on n'est pas à l'abri d'avoir une petite fulgurance, un sourire, un regard. C'est vrai qu’avec les quatre ou cinq premières prises, on tâtonne, mais on filme tout parce qu’on ne sait jamais. Et après, 4-5 prises, ça commence à être concret.
Romain Duris : Moi, j'adore ce système que décrit Guillaume. C’est vrai que ça crée de la spontanéité, une écoute, parfois une appréhension qui n’est pas inintéressante parce qu'elle amène la fragilité. On échappe à chaque fois à un côté trop mécanique. Entre les prises, ça bouge tout le temps. J'ai le sentiment qu’avec la répétition, ça se perd un peu.
Un Sidney Lumet, par exemple, est connu pour avoir répété pendant des mois dans un studio ou un faux appartement avec ses acteurs.
Guillaume Senez : Lumet disait qu’à la première lecture, c'est là que l'instinct du comédien, et la spontanéité surgissent, et qu'en fait toutes ses répétitions servent à retrouver ce moment. Moi, j'ai fait le processus inverse, je vais attraper cet instant d’entrée de jeu. Mais voilà, au final, les films de Sidney Lumet restent dingue du point de vue du jeu. C'est juste qu'il ne pourrait plus travailler comme ça maintenant, pour des raisons budgétaires.
Diriez-vous que Une part manquante est un film politique ?
Guillaume Senez : Je suis là d'abord pour transmettre une émotion [...] Après, si derrière l'émotion, il peut y avoir une réflexion, une conscientisation, un débat, tant mieux. Une œuvre d'art, c'est un regard sur le monde. Donc évidemment que c'est politique. Mais on est à un autre niveau. On est quand même des artisans, des artistes. Je ne pense pas qu'un film peut sauver le monde.
Romain Duris : Je suis d'accord. Mais de toute façon, je trouve ça beau que ça puisse faire bouger des choses par l'émotion. Je me retrouve complètement là-dedans. Je me méfie beaucoup plus des mots et des discours que de l'émotion. Parce que l'émotion, c'est plus flou, mais c'est ancré. On a ressenti quelque chose et après viennent les mots. Moi, j'adore ... Et c'est pour ça que j'aime ce métier.