Une langue universelle, deuxième long métrage de Matthew Rankin, est projeté en première mondiale à la Quinzaine des cinéastes en marge du 77e Festival de Cannes.
Après The Twentieth Century, vous continuez de raconter le Canada. Pourquoi ?
C’est un lieu qui exerce beaucoup de poids existentiel sur mes épaules. Je m'intéresse beaucoup aux tensions et aux iconographies canadiennes. Mon univers a pris naissance à Winnipeg. C’est le prisme à travers lequel je dialogue avec le monde.
Plutôt que de vous intéresser à une figure historique, comme c’est le cas dans vos précédents projets, vous créez ici un alter ego. Est-ce une façon de matérialiser l’envie de parler de soi ?
J’aime beaucoup jouer avec la forme du biopic. Là, je m’aventure un peu dans l’hallucination autobiographique et je m’inspire du cinéma iranien. Ma présence dans le film est associée à ce que je qualifie de «métaréalisme». Je me suis laissé influencer par l’histoire de Hossein Sabzian dans le film Close-Up d’Abbas Kiarostami et de son imitation frauduleuse de Mohsen Makhmalbaf, un peu comme la propre imitation frauduleuse de moi-même.
Que vouliez-vous évoquer avec ce Winnipeg qui parle farsi ?
Une façon de regarder les choses selon une autre perspective et une manière d’élargir l’expérience artistique. Le film n’est pas vraiment à propos de l’Iran, ni de Winnipeg, ni du Québec. Ça parle plutôt du métissage entre les trois, de distance, de proximité, de solitude et de communauté. Ça évoque l’universalité ainsi que le côté très paroissial que j’associe au Canada.
Tout comme dans The Twentieth Century, vous accordez une grande attention à la direction artistique afin de camper des univers qui appartiennent à un autre espace-temps.
Je pense en termes d’images. L’iconographie est une mise en images de nos traditions urbaines. Ça fait partie du langage visuel et de ma démarche matérialiste. Je voulais filmer des édifices brutalistes gouvernementaux beiges, gris, bruns, comme l’État-providence canadien des années 1960 et 1970. On cherchait la divinité dans le banal. Et bizarrement, Winnipeg ressemble à Téhéran.
Vous aimez aussi déguiser vos acteurs et jouer avec leur genre. On pense par exemple à Danielle Fichaud qui interprète un fonctionnaire au gouvernement du Québec.
Peu importe ce qu'on joue dans un film, c'est du drag, dans le sens où on fait semblant d'être une autre personne. J'aime jouer avec la fluidité de l'identité et le film est très, très fluide. Toutes les identités sont métissées et mélangées, ce qui entrait en parfaite cohérence avec le propos et la démarche.
L’humour teinte beaucoup votre travail. Comment précisez-vous votre ton ?
La comédie est une question de timing. C’est aussi quelque chose que l’on trouve pendant le tournage d’un film. On écrit de petites saynètes pendant la production. On s’inspire de ce que les acteurs peuvent faire. Mais l’idée fondamentale est de toujours jouer sérieusement.
On vous sent un peu plus mélancolique avec ce film-ci.
Ah! Mais l'humour est mélancolique. Je trouve la fin de The Twentieth Century très sinistre. La victoire de William Lyon Mackenzie King est complètement vide. J’ai peur pour l’avenir en voyant ce dénouement. Ici, je trouve qu’il y a un certain optimisme. Mais bien sûr, notre monde est très triste (rires).
Votre personnage se retrouve alors dans une quête identitaire.
Je dirais plutôt que c'est une quête de connexion. Tous les personnages sont à la recherche d'une façon de connecter, jusqu'à l'autre bout du monde.
Photo : Matthew Rankin (en bas à droite) en tournage d’Une langue universelle. Crédit : Maryse Boyce