D Un Monde a L Autre Le Deuil De Jeremie Renier En Terre Arctique

D’un monde à l’autre : le deuil de Jérémie Renier en terre arctique

22 novembre 2025
entrevue

Acteur révélé chez Jean-Pierre et Luc Dardenne, puis chez François Ozon, Jérémie Renier signe avec D’un monde à l’autre son premier long métrage documentaire, un carnet intime où il accompagne un explorateur français à travers la banquise arctique. Entrevue.

Vous avez d’abord co-réalisé Carnivores en 2018. D’où est venue cette envie de passer derrière la caméra ?

Jérémie Renier : L’envie est d’abord partie d’une rencontre. Ce n’était pas un film que j’avais en tête. La proposition d’origine était de partir avec Loury, le suivre dans sa mission en Arctique, qu’il préparait depuis deux ans. On s’est écrit brièvement et je lui ai parlé de ce que je traversais, en toute transparence, alors qu’on ne se connaissait pas. Après, au fil des discussions, je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose à filmer.

Votre documentaire emprunte plusieurs codes de la fiction : la narration, la quête, les personnages.

Jérémie Renier : Ce n’était pas du tout prévu. Je suis parti avec trois feuilles à propos de ce que j’avais traversé, et de ce que j’imaginais vivre avec lui. Mais rien ne s’est passé comme je l’avais prévu. Il fallait rebondir par rapport à ce qui se déroulait devant moi. La vie nous a amenés un récit d’amitié. Et les images me permettaient de l’immortaliser.

Dans le film, après avoir été trahi par Loury, vous vous demandez : «qu’est-ce qui est vrai ?». En documentaire, cette question se pose souvent. Et cette scène de la trahison est filmée en champ/contrechamp, ce qu’on ne voit à peu près jamais en documentaire. Vous êtes-vous interrogé sur la notion de mise en scène ?

Jérémie Renier : Il y a plein de documentaires que je connais où l’esthétique est très présente, et ne dérange pas le récit. On accepte une histoire. [...] Pour cette scène, on a mis trois caméras. Il n’y avait personne d’autre que nous dans cette pièce. J’ai dit à Loury qu’on devait se parler. À mes yeux, ce qu’on vivait était déjà un récit. Il fallait juste que, parfois, on ait le temps de placer une caméra pour pouvoir le raconter.

On a aussi le sentiment qu’en vous mettant dans des situations extrêmes, voire dangereuses, vous courez vers la mort, alors que les récits de construction tendent plutôt vers la lumière.

Loury Lag : J’avais une croyance de me dire que si je suis là, maintenant, et que j’affronte la mort, c’est qu’elle ne peut pas être avec mon père. Ça nous permet de tenir et de survivre. Il y a aussi la responsabilité l’un de l’autre sur la glace. La mort est partout. Mais c’est aussi une manière de s’en défaire, c’est-à-dire qu’on la met dans un endroit, et on observe ce Grand Nord tragiquement beau. Puis, on en laisse une partie là-bas.

Le documentaire montre également ce territoire arctique. Comment vous êtes-vous préparé pour filmer ces images ?

Jérémie Renier : J’ai filmé ce qui était en face de moi. Après, j’ai filmé des villages inuits, j’ai fait des interviews. Je me suis posé énormément de questions sur la manière dont les gens vivent un deuil. Pendant trois mois, j’ai discuté avec des individus, dont un qu’on voit au début du film. Ça m’a permis de voir la complexité humaine.

À bicyclette de Mathias Mlekuz embrassait une démarche comparable à la vôtre. Lorsque nous lui avons demandé si son périple lui avait apporté une forme d’apaisement par rapport à son deuil, le réalisateur nous a répondu : non. Quel est votre sentiment face à cette question ?

Jérémie Renier : Je n’arrive pas à quantifier si ça permet de s’en sortir. Ce que je trouve agréable par contre, à travers la douleur et le deuil, est d’arriver à faire un geste lumineux. Ce film, notre rencontre, notre amitié nous permet d’être en face d’un public, d’échanger, de parler du deuil. Là, tous ces passages difficiles ont plus de sens.

Ce titre, «D’un monde à l’autre», ne ferait ainsi pas uniquement référence à deux environnements physiques…

Loury Lag : Bien sûr que non. On parle du monde de Jérémie, du mien. Du monde des vivants, celui des morts. Celui de la fiction et de la réalité. Le monde des ténèbres et celui de la lumière. On passe d’un univers à l’autre depuis le début.

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