Benjamin Lavernhe: le visage de L’abbé Pierre

19 décembre 2023
entrevue

Par son nom, on le connaît peu au Québec. Mais si je vous dis qu’il jouait le marié détestable dans Le sens de la fête? Et l’amant “infidèle” de Laure Calamy dans Antoinette dans les Cévennes? Ça y est nous y sommes. Opérant un changement de registre complet, Benjamin Lavernhe incarne la quintessence de l’homme bon dans L’abbé Pierre: une vie de combats. Sa performance époustouflante dans le rôle-titre fait de lui le favori dans la course au César du meilleur acteur.

Avez-vous auditionné pour décrocher le rôle de l’abbé Pierre?

Oui. Le rôle ne m'a pas été proposé directement. Mais je savais que Frédéric Tellier devait rencontrer trois ou quatre comédiens maximum. J’avais déjà tenu un petit rôle dans L’Affaire SK1, donc on se connaissait un petit peu. Pour l’audition, j’avais deux discours à travailler: l’appel de 1954 et celui du Palais des congrès, en 1984. Arrivé au casting, on m'a mis un béret, une cape, on m'a dit: tiens, voilà ton micro, installe-toi derrière ce pupitre en fer. Et là, je me suis lancé avec beaucoup d’émotion. C’était en quelque sorte le début du travail.

L’abbé Pierre était un homme immense. La cape, le béret, la stature, il y a pratiquement une iconographie associée au personnage. Qu’est-ce qui vous frappe chez lui?

Sa grande théâtralité… ses talents d'orateur, de tribun. Cet homme maniait tellement bien les mots. Avec simplicité, sincérité, urgence. Il était animé par une volonté de réveiller les consciences, de provoquer un électrochoc, de ne jamais accepter la fatalité de la misère, de ne jamais s'y habituer.

Il semble aussi que son influence, voire l’affection qu’il inspire, transcende le cercle des croyants.

Son mouvement n’était pas un mouvement confessionnel, ni un mouvement politique. C’était un mouvement d'éveil des consciences civiques. Moi qui ne suis pas très croyant, ça me touchait beaucoup que cet homme de foi pouvait parler à tous, à toutes les religions, à toutes les générations. Même les bouffeurs de curés, ou ceux qui n'étaient pas à l'aise avec le catholicisme en France, aimaient l’abbé Pierre.

L’abbé Pierre: une vie de combats raconte aussi une grande histoire d’amitié entre le personnage de l’Abbé Pierre et Lucie Coutaz. Une amitié atypique, pas amoureuse, mais assez unique en son genre.

C'est vraiment merveilleux que le film réhabilite la figure de cette femme incroyable. Sans elle, l'Abbé Pierre n'aurait jamais pu accomplir tout ce qu'il a fait. Résistante pendant la guerre, elle lui a procuré des faux papiers. Et puis ils se sont reconnus. Ils ont éprouvé une espèce de complicité et de respect mutuel. Et une complémentarité. Elle tenait la boutique. Elle faisait les comptes. L’abbé Pierre était assez gaffeur, éparpillé, spontané. Et elle le cadrait, elle l’engueulait. Je pense qu'ils avaient un profond respect et admiration commune et se sont rendu compte qu’en équipe, ils pouvaient aller loin.

En terminant, peu de gens au Québec savent ce qu'est la Comédie Française, ou ce que ça signifie de voir un acteur estampillé “de la Comédie-Française” au générique d’un film. Pouvez-vous nous expliquer un peu ce que ça implique?

La Comédie-Française est une des plus vieilles troupes au monde. Elle a été créée en 1680. Molière en était le premier sociétaire. Elle compte trois salles, dont la plus importante, la salle Richelieu, est abritée dans le Palais Royal à Paris. La troupe compte 62 comédiens salariés, dont moi. Lorsque je tourne un film, je dois demander un congé. Au générique, je suis estampillé “de la Comédie-Française” puisque j’appartiens à la troupe et cette obligation contractuelle est un moyen, pour la Comédie-Française, de dire: «ramenez-le nous».

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