
Après un détour par la Berlinale, Paul, le seizième long métrage de Denis Côté, était présenté dans le cadre des 43es Rendez-vous Québec Cinéma.
Diriez-vous que le film se veut comme le pendant masculin et documentaire de Un été comme ça ?
Il y a une parenté inconsciente et accidentelle. Des gens ont essayé de me mettre sur la piste que [d’aborder la sexualité] serait ma nouvelle trajectoire alors que c’est arrivé par hasard. En travaillant sur Un été comme ça, j’ai rencontré et côtoyé des gens qui font partie de la communauté BDSM. Ça m’a ouvert l’esprit dans mon intimité, ma vie sociale, ma sexualité, et les sexualités alternatives. Et pour Paul, c’est un hasard. Une personne que je côtoyais me parlait d’un certain Paul, un type qui lui donnait des lifs. Après, tout a déboulé. Ça m’a rappelé ce que j’avais fait avec Ta peau si lisse : aborder un sujet avec lequel on est toujours sur la ligne entre le voyeurisme et l’exploitation. Ça m’emballe, car c’est dangereux. Je pouvais me casser la gueule.
Le film s’ouvre sur Paul qui se filme, se met en scène. On le voit aussi en train de monter ses propres capsules vidéo. Avez-vous vu dans ce désir de créer un lien votre propre acte de création en tant que cinéaste ?
Ce serait un miroir déformé. Lui veut se mettre en scène, moi, je veux faire de la mise en scène. Dès le début, je voyais Paul faire de la mise en scène et, très vite, j’ai vu les dominatrices faire la même chose. On n’était plus juste en train de suivre un anxieux dans son quotidien, mais on explorait aussi la manière de lancer son image dans le monde, comment elle devient incontrôlable ou contrôlable. Le film s’enrichissait. Les filles se filment en train de faire du contenu. Elles utilisaient Paul gratuitement pour aller chercher des clients, des soumis. Il y a tout un système d’exploitation [qui s’opère] sous un couvert d’amitié. [...] Les sujets se sont invités dans mon film alors que j’étais parti en dilettante : découvrir un individu spécial.
La façon pour Paul de se mettre en scène passe essentiellement par les réseaux sociaux. Vous n’hésitez pas à intégrer ce langage (Instagram, Web, etc.) dans la grammaire cinématographique du film.
Pourquoi pas ? C’est une plongée dans son intimité. Le film est toujours en train de lui passer la puck. Il n’y a pas d’entrevues, alors il fallait que je laisse toute la place à Paul pour qu’on l’aime et qu’on le découvre. Comme je ne l’interviewe pas, et que sa vie est super intéressante, il fallait des informations. Alors, j’ai utilisé le chat. Mais j’ai beaucoup trop d’égo, d’expérience et de manière formalisante pour m’effacer. Je trouvais toujours des petits trucs pour mettre un peu de Denis Côté dans le film.
Comme l’utilisation de la «pellicule»...
Ce n’est pas de la pellicule. Le directeur photo François Messier-Rheault a eu l’idée d’utiliser une vieille caméra Black Magic avec un tout petit capteur de Bolex. Mais ce n’est pas juste à travers cette illusion de “film” que je m’insère dans le documentaire. Il y a aussi mon regard un petit peu détaché, sans jugement. Il y a également des choses très fausses dans le film. Puis, j’ai beaucoup réfléchi à ma structure.
La filiation avec Un été comme ça vient également du fait que les scènes de domination et de soumission sont désérotisées. Tout n’est pas qu’une question de sexe.
Tous les kinks existent, y compris celui d’un gars qui, pour combattre son anxiété, se rend chez des filles pour faire le ménage. Lorsqu’on fait une œuvre là-dessus et qu’on croit qu’il s’agit d’une belle occasion de faire un film ou de choquer les gens, on ne s’en sort pas. Lorsqu’on regarde Paul - et Un été comme ça -, on n’est pas choqué, ni excité. Le but est de présenter quelque chose qui, pour certaines personnes, est très original, mais de manière la plus anti-spectaculaire et banalisée.
Ce qui peut surprendre dans le film est la relation que Paul crée avec quelques-unes de ses dominatrices.
Dans le BDSM, il y a quelque chose qui s’appelle le «aftercare» et ça prend différentes formes pour chaque soumis ou personne qui expérimente de la douleur ou des moments difficiles, qu’elle l’apprécie ou non. Ça peut passer par des caresses, des discussions; ça sert à faire redescendre la pression. Certaines dominatrices n'envisageaient même pas d’aller prendre un café avec Paul. D’autres étaient dans un début de dynamique amicale avec lui. [...] Ça m’a frappé comme cinéaste à quel point je n’étais pas bien avec le fait que je ne connectais pas avec lui. Comme j’étais un homme, il n’était pas intéressé à ce que l’on devienne amis. Paul aspire à une chose : il veut rencontrer des femmes. On n’était pas complices. Éthiquement parlant, ça m’a causé des petits maux de tête.
Est-ce que c’est ce qui explique une empathie plus affirmée de votre part face à votre sujet ?
Quand tu es en train de faire un film de Denis Côté sur un être humain et que le titre est dédié au nom de la personne, on se sent très intrusif. Paul m’avait donné une seule consigne : s’assurer qu’il n’ait pas l’air de quelqu’un qui fait pitié et qui se fait battre par des femmes. Il ne voulait pas voir personne de sa famille non plus. Puis, il est venu regarder le produit final avec une de ses dominatrices. Il fallait qu’il approuve. Quand le film s’est terminé, il m’a regardé dans les yeux et m’a dit : merci Denis, ça couvre vraiment bien mon monde.
À Berlin, vos deux directeurs photo ont dit que vous aviez fait un crowd pleaser. Cela semblait vous déranger. Est-ce une si mauvaise chose que Denis Côté réalise un film qui plaise autant ou qui semble être un peu plus «accessible» ?
Il n’y aucun problème avec ça. C’est juste que ça ne me vient pas à l’idée ni dans la manière. Est-ce grand public ou accessible ? Je ne pense pas que ça le soit. Il y a des gens qui vont s’offusquer que le rythme soit très lent. Mais lorsque l’intention est là, on place des pions. Autrement, ce sont des choses qui nous dépassent. Quand ça arrive, ce sont des belles surprises. À la blague, je dis quand même : vous trouvez ça cute et accessible ? Checkez-bien le prochain (rires) !