
**À la recherche d’une série à dévorer en cette fin de mois des Fiertés ? TV5 et ICI Tou.tv proposent Split, cinq épisodes signés Iris Brey, critique de cinéma et autrice française, spécialiste des représentations du genre et des sexualités à l’écran. **
Dans votre second ouvrage Le Regard féminin : une révolution à l’écran, vous théorisez le regard féminin à l’écran.
Pour moi, le regard féminin c’est ressentir ce que le personnage traverse, arrêter de le regarder à distance, être avec lui. J’ai choisi ce terme de «regard féminin» pour rendre hommage à Laura Mulvey et à son texte théorique [«Visual Pleasure and Narrative Cinema», paru en 1975]. [...] J’ai écrit ce livre pour avoir une base et que d’autres s’en emparent. Ce qui m’intéresse est qu’on réfléchisse à la mise en scène, la manière de filmer les corps, comment on positionne la caméra.
Comment vos réflexions ont-elles nourri votre première expérience de fiction derrière la caméra ?
J’ai eu l’impression que c’était assez organique de passer de la théorie à la pratique. D’avoir passé plusieurs années à regarder des films réalisés par des femmes et à penser à des images qui me manquaient m’a donné envie d’écrire et de voir des choses que je n’avais pas vues avant. Dans ma manière de travailler, il y a beaucoup de références. J’aime beaucoup partager des films et des écrits, de Monique Wittig et Germaine Dulac, par exemple, pour qu’on parle un langage commun.
Quelles sont quelques-unes de ces influences cinématographiques ?
Chantal Akerman est pour moi l’une des plus grandes cinéastes. Avec l’équipe, on a aussi beaucoup parlé de Jane Campion et d’Andrea Arnold. Il y avait également des références de David Lynch, notamment dans la manière dont les personnages fument leur cigarette. J’ai aussi placé dans le décor un collier de perles. La première représentation d’un orgasme féminin est en 1933 dans un film qui s’appelle Extase. La femme fait casser son collier de perles et il y a des perles partout.
Vous employez beaucoup de métaphores et d’images pour représenter certains concepts. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette poésie ?
J’accède à la théorie par le corps. Ce qui m’intéresse est de réfléchir à mon corps de spectatrice face à une œuvre. Je pense avoir beaucoup pensé au corps des spectateurs et des spectatrices et à ce qui allait faire appel à leurs sensations. Par exemple, l’utilisation du split-screen peut avoir un sens différent pour chacun et chacune. En leur offrant deux images ensemble, j’offre la possibilité d’interpréter ce qu’ils et elles veulent voir.
Vous parlez du manque d’images de femmes. Il y a un manque encore plus considérable d’images d’amour lesbien à l’écran.
La majorité des représentations de sexe lesbien se trouve dans la pornographie. C’est vrai que les films lesbiens qui montrent des scènes de sexe sont des films assez peu connus du grand public, comme Go Fish, The Watermelon Woman, et Je tu il elle. J’avais envie de montrer un rapport érotique entre deux personnes qui se regardent comme sujets et pas comme objets. Et les scènes de sexe, ce n’est pas toujours joyeux. Ça peut être des endroits où on pleure, on a faim ou on a envie de parler. La sexualité est quelque chose de très mouvant. Ça me paraît un peu aberrant qu’on continue de toujours montrer les mêmes scènes de sexe.
Au tout début de la série, il y a un extrait d’une entrevue avec Delphine Seyrig où elle mentionne que les rôles joués par les femmes au cinéma sont souvent en retard sur leur réalité.
J’avais envie d’évoquer tout le mouvement féministe des années 1970, les réalisatrices avec lesquelles elle a travaillé, et [le fait] que ces questions, qu’on pense être très contemporaines, ont déjà été posées par d’autres femmes il y a très longtemps. Les questions féministes ont une historicité. Souvent, on oublie parce qu’on ne nous transmet pas ce qui a été fait ou dit avant. Par rapport aux images que j’essaie de créer, je pense qu’il y a quelque chose de poreux. J’avais envie qu’il y ait cette tension entre le passé et le présent dans la série.
Dans le quatrième épisode, vous mettez en scène une scène de squirting [liquide sécrété par l’urètre de la femme]. C’est le seul épisode interdit aux moins de 16 ans, en France, alors que le reste de la série l’est pour les moins de 12 ans [Les épisodes sont classés 13 ans + sur TV5 et ICI Tou.tv].
C’est bien d’accompagner les plus jeunes dans ce qu’ils peuvent voir. Mais il peut y avoir un décalage avec ce qu’ils consomment. Dans cette scène, il n’y a aucune nudité. Les deux actrices sont habillées. Il y a de l’humour. Ça montre des choses que l’on n’a pas l’habitude de voir du corps féminin. C’est de l’ordre de la joie et de l’exploration alors que c’est une pratique liée à un imaginaire pornographique. Montrer des femmes qui prennent du plaisir reste un endroit de lutte politique.