
S’inspirant de l’affaire Banier-Bettencourt, Thierry Klifa nous arrive avec La femme la plus riche du monde, un récit mêlant comédie mordante et drame familial. Entrevue.
Les histoires d’arnaques, d’escroqueries, de fraude et d’extorsion vous inspirent, comme en font foi vos derniers films. Pourquoi revenir à ces thèmes avec ce sixième long métrage ?
Quand le scandale a éclaté, j’y ai vu tout de suite une matière incroyable. En enquêtant, j’ai constaté qu’on avait davantage raconté cette histoire par la fin que par son début. Les principaux protagonistes avaient aussi été caricaturés. Oui, il y a une arnaque au centre du récit. Mais la différence avec mes films précédents est que je ne cherchais pas l’empathie. En pénétrant cette maison aux murs infranchissables, j’ai compris qu’il y avait tout du roman balzacien, de la tragédie shakespearienne. Et que je pouvais traiter le tout sous le mode de la comédie et de la farce.
La famille est un autre thème qui vous est cher. Sous quel angle souhaitiez-vous l’aborder avec ce film ?
Je pense que la famille est un peu le reflet de la société. On a beau tous partir du même endroit, quand on se retrouve le dimanche autour du rôti familial, chacun arrive avec ce qu’il est devenu, ses ambitions, ses joies, ses échecs, ses chagrins. Au centre de cette famille, il y a la question de la transmission et de l’héritage. Elle est traversée par la grande Histoire. La grande bourgeoisie catholitique traditionaliste française ne ressemble pas à la bourgeoisie anglaise, américaine ou canadienne. Cette famille est comme toutes les autres et elle ne ressemble à aucune autre.
Du côté formel, vous avez fait le choix d’intégrer des apartés, où les personnages s’adressent à la caméra, un procédé qui renvoie au documentaire ou au reportage.
Ça rappelait la manière dont cette histoire a été ultra médiatisée en France. Après, c’était une façon de dire qu’il n’y a pas qu’une vérité. Chacun des personnages la raconte à sa manière. Puis, il s’agissait de leur redonner la parole. Au moment où le scandale a éclaté, ils s’affrontaient par articles interposés et c’était les communicants qui s’exprimaient.
Le film comprend également d’autres fantaisies visuelles comme une scène chantée et la lecture de lettres en surimpression. Vous choisissez également de représenter cet environnement de richesse avec des couleurs vives et des costumes exubérants.
Chez Marianne, l’argent ne se montre pas. Ce n’est pas ostentatoire. Il y a quelque chose de très traditionnel. Il fallait que la fortune se manifeste par le fait qu’elle change 70 fois de costumes, par ses bijoux et sa demeure. Bien sûr, on comprend que cette femme est aisée. Mais de là à croire qu’elle est la femme la plus riche du monde, c’est autre chose. Puis, oui, elle est en couleurs vives de la même façon que sa fille demeure dans des tons de gris. Comme je ne voulais pas que le résultat ressemble à un “film dossier”, la fantaisie apportait une dimension de conte à l’histoire.
On parle d’abus de faiblesse dans le film. Mais Marianne n’est pas dépeinte comme une victime ou une femme faible. Au contraire, elle prend ses propres décisions.
On a beaucoup parlé d’elle de façon très misogyne, sans tenir compte de son intelligence, de son sens des affaires et de sa passion pour cet empire qu’elle a sur les épaules depuis la mort de son père. De notre côté, on ne voulait pas romantiser sa relation avec Pierre-Alain. Elle sait très bien ce qu’elle fait. Après, jusqu’à quel point on est la victime consentante de quelqu’un ? Jusqu’où se fait-elle manipuler ? On peut aussi retourner la question de son côté à lui : pourquoi être allé si loin ?
Malgré l’aspect transactionnel du lien qui s’établit entre Marianne et Pierre-Alain, on sent une sincère amitié qui se crée entre les deux.
Oui, il y a une sincérité et une réciprocité. Mais cette femme est aussi incroyable et elle est facile à aimer. Et ce qui me plaisait avec cette histoire était de soulever des questions plutôt que de donner des réponses. Parce qu’au bout du compte, on ne saura jamais. Même avec les acteurs, les débats furent très vifs sur qui est sincère et qui ne l’est pas. C’est toujours plus intéressant de faire réfléchir les gens que de leur amener tout cuit dans le bec. Ce sont les zones grises qui sont intéressantes à observer.
Vous avez également réuni Isabelle Huppert et Laurent Lafitte pour interpréter ce duo d’amis. Ils partageaient la vedette dans Elle de Paul Verhoeven et entretenaient une autre dynamique de pouvoir assez complexe.
Il y a certains couples de cinéma qu’on a envie de refaire. Mais pas ici. Je pense que ce qui a plu [aux deux] était que ces personnages sont des prototypes. On ne peut les ramener à aucun rôle qu’ils ont joué avant. Il y a cette dimension farcesque, tragique et plus grande que nature, avec une humanité dans tout ce qu’elle a de plus fascinant et de plus monstrueux. Je pense aussi que peu de films passent autant par l’oralité. D’avoir autant de dialogues, avec des punchlines qui font rire et un côté qui n’est pas très politiquement correct, ça les a convaincu.
Crédit photo : Thibault Carron


