
La prisonnière de Bordeaux, à l’affiche ce vendredi, met en vedette un «duo d’actrices impeccable», d’après notre collègue Céline Gobert. La moitié de ce duo est défendu par Hafsia Herzi (La graine et le mulet). L’autre, par Isabelle Huppert, icône du cinéma français, rencontrée à Paris en janvier dernier dans le cadre des Rendez-vous d’Unifrance.
Vous retrouvez la réalisatrice Patricia Mazuy, 25 ans après avoir collaboré avec elle sur Saint-Cyr. On a tendance à croire que des retrouvailles entre une actrice et un ou une cinéaste rendent l’expérience plus facile. Était-ce le cas ?
C’était plaisant, mais pas forcément plus facile. Parfois, Patricia n’est pas quelqu’un de facile. Mais c’est aussi pour ça qu’elle est une grande metteure en scène. Elle a une certaine brutalité qui me plait, et qui est à l'œuvre dans ses films. Je trouve que c’est une très grande qualité qui fait qu’elle n’est jamais tout à fait là où on l’attend, notamment dans l’approche qu’elle a de mon personnage. Elle ne tombe pas dans le stéréotype d’une Bovary un peu mélancolique qui s’ennuie dans son château. Elle m’a tout de suite fait la proposition d’en faire un personnage plus fantaisiste, ce qui lui donne plus de complexité et d’épaisseur.
Lorsqu’Alma fait la rencontre de Mina, elle reconnaît immédiatement l'artificialité de la scène qui se joue devant elle. Les deux se reconnaissent dans cette idée de «jeu».
Elle saisit Mina dans ce moment de pure théâtralité. C’est vrai que ça met le film dans un dispositif qui l’éloigne d’une sociologie un peu réductrice. Ça fait tout de suite aller le film vers quelque chose de plus ample, de plus abstrait. [...] C’est ça un film. Chacun fait travailler son imaginaire.
Est-ce que, comme le titre du film le suggère, Alma ne pourrait pas être prisonnière d’un personnage, d’un statut social ou d’un statut marital ?
Patricia aimait bien l’idée que cette femme, dans une autre vie, était danseuse. Apparemment, elle a tout. Elle a l’argent, l’espace et la beauté, parce qu’elle est entourée d'œuvres d’art. En fait, elle est prisonnière de tout ça, car elle est prisonnière de son existence. Elle n’a même plus ni l’amour, ni l’affection de son mari. Mais elle ne le sait pas forcément elle-même.
Vous étiez également dans Les gens d’à côté d’André Téchiné, avec Hafsia Herzi, une actrice au sens de l’improvisation très développé. Est-ce qu’il a été possible d’improviser avec Patricia Mazuy ?
Il y a un fantasme sur l’improvisation qui viendrait s’opposer à quelque chose de plus travaillé. J’ai envie de dire que le cinéma et le jeu, ce sont quand même toujours un peu de l’improvisation, même s’il s’agit de dire des choses que l’on a apprises et qui sont écrites. C’est l’art de l’improvisation et non pas celui de la récitation. On fait quelque chose pour la première fois et, à chaque prise, on le fait pour la première fois. C’est ce qui est excitant dans le cinéma : ce n’est jamais la même chose.
Dans une entrevue avec Patricia Mazuy, on lui a demandé : comment dirige-t-on Isabelle Huppert ? Sa réponse était : demandez-lui.
J’avoue que je n’aime pas trop me faire diriger. Mais je l’accepte. Tout dépend de comment c’est fait. Il y a des directions qui arrivent comme une effraction dans votre monde et qui sont maladroites. Mais ça ne m’est pratiquement jamais arrivé. Quand je sens que ça pourrait se produire, je me débrouille pour que ça n’arrive plus. C’est un peu comme une fausse note en musique. Ensemble, c’est un peu désagréable à entendre. J’ai remarqué, et ce n’est pas pour faire des généralités, que les metteuses en scène sont un peu plus intervenantes et directives. Je pense à quelqu’un comme Mia Hansen-Love, qui était très intervenante dans sa direction d’acteurs, mais avec une telle subtilité et une telle précision que je ne l’ai jamais vécue comme intrusif. Avec Patricia, c’était la même chose.
Le film parle d’écart entre les classes sociales. On ne peut s’empêcher de penser au cinéma de Claude Chabrol, un cinéaste dont vous êtes l’un des porte-étendards.
Dès lors qu’un film choisit de montrer la bourgeoisie ou ses avatars, on pense à Chabrol. Il l’a fait comme personne, et différemment de Patricia Mazuy. Après, je comprends qu’on établisse un lien. J’imagine qu’il en serait très fier. Comme il était très généreux, il aurait accordé cette filiation. Mais il avait aussi une manière de montrer les choses qui n’appartenait qu’à lui : une ironie, une froideur, quelque chose qui était très spécifique à lui.
Croyez-vous que le cinéma peut être un moyen d’engagement politique ou social ?
Le cinéma n’a pas à être militant. Ce n’est pas mon âme de militante, que j’aurais pu garder, qui me fait choisir un film. C’est sa poésie, son pouvoir imaginaire et comment il peut s’adresser différemment à chacun, sans qu’on sache exactement de quelle manière.
Crédit photo : Marie Rouge