Entrevue avec Cédric Kahn

3 novembre 2023
entrevue

Le procès Goldman (2 - Remarquable) sort en salle aujourd’hui. Entretien avec son réalisateur Cédric Kahn.

Vous avez tourné en format 4:3, soit dans les proportions d’un écran de télévision de l’époque de l’action [1976], mais en misant sur la profondeur de champ, ce qui est un peu contradictoire. Pouvez-vous nous expliquer ce choix?

En fait, j'ai tout misé sur la profondeur. C’est la consigne que j’ai donnée au cadreur et au monteur: choisis toujours le plan dans lequel apparaissent le plus de visages. Je n’avais jamais fait un film avec autant de gens à l’image, tous les jours 120 personnes.

Ça donne une énergie incroyable au film.

Et ça m’en donnait à moi, comme metteur en scène. J’étais complètement porté par la salle. Je n’ai pas ressenti de fatigue durant ce tournage. Il faut dire que la salle était pleine à craquer. Il n’y avait de la place que pour les 3 caméras, le gars avec la perche, et moi, caché dans un coin… tout le reste de l’équipe était dissimulé derrière une cloison. La technique était effacée, j’avais l’impression d’être seul avec les acteurs.

Les figurants ont dû assister à toute une leçon de cinéma, non?

Plusieurs sont venus me dire à la fin du tournage qu’ils avaient vécu une expérience extraordinaire. C’est vrai que pour un figurant, d’être là du matin au soir, du premier au dernier jour de tournage, c’est tout à fait exceptionnel. Et ils étaient toujours aussi réactifs, même quand on tournait la même scène 30 fois. L’intensité de la salle ne baissait jamais.

Aviez-vous, à travers ce film, exprimé l’envie de dresser un état des lieux de la gauche en France?

Si oui c’était complètement inconscient. J’avais la crainte inverse: que le sujet soit trop vintage pour le public contemporain. Je connaissais l’histoire depuis très longtemps et j’avais lu le livre il y a 20 ans. J’ai compris à l'écriture du scénario cette correspondance entre le passé et le présent. Je me disais: c’est pareil à aujourd’hui; les mélenchonistes contre les lepénistes. Mais ça n’était pas dans l’intention au départ.

Qu'est-ce qui a mobilisé la gauche derrière Pierre Goldman à votre avis?

C'est la grande question que je me suis posée. La gauche a aimé se reconnaître en lui, au mépris des faits. Il est devenu un symbole plus grand que lui-même, à tel point qu’on a dit à son enterrement que c’était les obsèques de la gauche. La gauche soixante-huitarde surtout. Il est devenu l’incarnation d’une génération dans laquelle lui-même ne se reconnaissait pas.

Que cherchez-vous en choisissant Arieh Worthalter pour incarner Pierre Goldman?

Il me fallait trouver un acteur qui soit à la fois très cérébral et très physique. C’est très rare. Qu’il puisse assumer un texte très construit avec une autorité évidente. Il fallait que le spectateur croie que tout est possible: que Goldman puisse dire ces mots et qu’il puisse l’avoir fait. Tous ces possibles devaient s’incarner en un acteur.

Dans le territoire de votre filmographie, ce film marque-t-il la fin d’un cycle ou le début d’un autre?

Le procès Goldman est nourri par d’autres films que j’ai faits autour d’individus un peu borderline. On y retrouve mon intérêt pour le fait divers, pour le fait social. À cet égard je trouve qu’il est très inscrit. Mais si ça devait être le début ou la fin, ça serait plutôt la fin. Je fais des films de plus en plus concentrés, avec de moins en moins de déplacements, de décors, où je suis surtout sur les acteurs et le texte. Celui-ci est peut-être un aboutissement de ça.

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