Dans 1995, Ricardo Trogi se penche, avec son inimitable auto-dérision, sur sa participation à l’édition 1994-95 de la Course destination monde. Entretien avec un réalisateur dont la carrière à été propulsée par cette aventure.
Avec ce quatrième volet portant sur la Course, qu’est-ce qu’il vous restait à dire, à raconter ?
Quand je décide de faire appel à cette famille pour raconter une histoire, c’est parce que j’ai quelque chose d’important à partager. 1991 racontait mon premier voyage à l’étranger, seul. Il y avait quelque chose de la découverte de soi en tant qu’étudiant. Là, c’était mon premier pas dans le monde professionnel de l’audiovisuel. La première fois qu’on me faisait confiance. La première fois où j’ai osé croire que je pourrais faire ça dans la vie. J’ai pris ça très au sérieux.
Dans le film, vous présentez les différentes étapes du processus derrière un film : le tournage, le montage, la libération de droits musicaux et la recherche de sujets documentaires. Est-ce que cette mise en abyme de l’acte filmique permettait au grand public de le démystifier ?
Je trouvais intéressant que les spectateurs puissent voir à quel point faire un film de quatre minutes pouvait être compliqué. Je me suis concentré sur un seul film de la Course. Ce fut le plus complexe et ça donnait des occasions pour faire de la comédie.
Justement, le film change de ton dans la dernière partie. Est-ce que, à l’image du personnage de Ricardo qui souhaitait réaliser un grand film, vous avez envie d’être plus sérieux dans votre cinéma ?
Ça vient du sujet que j’ai choisi. Avant d’arriver dans la portion plus dramatique, c’est drôle en criss. Et si le prix à payer est d’être plus sérieux à la fin, je m’en fous. Il n’y a rien de mal là-dedans. Ç’aurait été problématique pour moi de finir sur une note joyeuse. Ce n’est pas ce que j’avais envie de dire et ce n’est pas là que l’histoire m’amenait. [...] J'aimerais aller un peu plus vers le drame, mais mon premier réflexe, c’est la comédie. Je suis vraiment fait comme ça. L’humour est un moyen de défense. Je l’utilise instinctivement et systématiquement et je ne voudrais pas dénaturer ça.
En écoutant les commentaires du jury de la Course, votre alter ego prend conscience de certaines choses. Dans votre démarche, quelle importance accordez-vous à la manière dont vos films sont reçus?
J’y pense un peu. Je réfléchis surtout à créer un film qui se tient. Après, je verrai ce que le public en pense. À l’époque, quand j’ai entendu les commentaires des juges, j’ai été assez ébranlé. Mais il fallait que je continue. Je ne suis pas en train de sauver le monde. Il faut relativiser parfois. Et cette capacité à ne pas s’imaginer que l’univers tourne autour de ce que l’on fait peut nous aider quand on est plus jeunes.
Après 4 films, quelle est la relation qui s’est établie entre Jean-Carl Boucher et vous ?
C’est tout doux. Souvent, il tourne sa première prise et il est déjà pas mal sur la bonne trajectoire. C’est facile. On essaie des petites choses. Comme dans les scènes aux douanes, il doit pogner les nerfs. On a gossé un peu là-dessus. Sinon, tout roule comme un charme. Avec les années, je lui laisse faire ce qu’il pense être juste pour le personnage. C’est plutôt dans le dosage que j’interviens.
Le choix de la musique a toujours été crucial dans vos longs métrages. Ici, on entend des morceaux de US3, Angham, Pluto, The Proclaimers et Daniel Bélanger. Quel est le processus pour l’intégrer au film ?
À l’écriture, j’avais une liste de 98 chansons. Je les faisais jouer durant la scénarisation. Chaque fois, j’en choisis environ le même nombre. On finit par acheter les droits de trois ou quatre. Arrivé au tournage, les droits sont négociés. Dans ce cas-ci, il y avait The Host of Seraphim de Dead Can Dance, une pièce très poignante sortie en 1994. Les autres pièces sont des chansons que j’appréciais beaucoup à l’époque. J’essaie de ne pas être anachronique.
Est-ce la fin des mésaventures de Ricardo ou doit-on nous attendre à un cinquième volet ?
Je ne sais pas. Pour l’instant, je dirais que c’est fini, mais dans deux mois je vais peut-être avoir un flash. Peut-être que cinq, c’est trop… On m’avait dit qu’après deux, c’était déjà pas mal. C’est déjà rare qu’on puisse faire une série de quatre films au Québec. Je n’ai pas eu l’impression de me répéter. En même temps, j’ai souvent dit que si je n’en faisais pas que trois, j’en ferais six.
Photo : Jean-Carl Boucher et Ricardo Trogi Crédit : Bertrand Calmeau